Fiasco : L’aventure américaine en Irak
Dominant le sous-titre « L’aventure américaine en Irak », l’affichage du titre en lettres énormes claque comme une condamnation et les termes relevés dans les premières pages se veulent accablants : « décision éhontée… (argent) gaspillé… incompétence et arrogance (du président Bush)… conception bâclée… ». Le lecteur moyen, qui n’aura pas manqué de consulter, dans le numéro de mars 2009 de notre revue, l’article intitulé « Haro sur le baudet », ne sera pas étonné outre mesure de cet hallali.
Ledit lecteur, pour peu qu’il ait suivi un tant soit peu l’actualité, ne sera pas non plus surpris par l’énoncé des principaux reproches ici formulés et certes souvent convaincants. D’abord, un devis initial calculé trop juste par une équipe Rumsfeld-Wolfowitz loin du terrain, s’engageant sur des tuyaux crevés, péchant par optimisme et tablant sur une guerre courte suivie du ralliement massif et immédiat du peuple irakien (« On a confondu gagner la bataille de Bagdad et gagner la guerre en Irak »). Ensuite, une confiance peut-être excessive accordée aux émigrés de Chalabi, compensant fort mal à l’intérieur la « débaassification » radicale et la dissolution précipitée de l’armée irakienne, provoquant « la suppression des moyens d’existence… d’une foule, d’humiliés » dont beaucoup auraient pu être utilisés dans les tâches de reconstruction. Enfin, voire surtout, le manque d’adaptation de l’armée américaine, encombrée par sa logistique et soumise à des rotations trop rapides, à la forme de lutte qui lui est imposée, et cela tant de la part de chefs souvent rivaux le long d’une « chaîne de commandement confuse et complexe », que de celle de la plupart des exécutants implantés dans des centres d’opérations comportant « d’innombrables rangées de bureaux recouverts d’ordinateurs » et dans des « bases géantes n’incitant guère à l’immersion culturelle ».
Ce manque de contact, cette place insuffisante attribuée à l’« Humint », cette ignorance des notions d’« honneur et de fierté » propres aux Irakiens, se traduisent par des attitudes de défoulement et des comportements brutaux culminant avec l’affaire d’Abou Ghraib. On en vient à se tourner vers l’expérience de ces bons Français, à redécouvrir la nécessité d’une convergence entre actions civiles et opérations militaires et à lire Trinquier ou Galula. À quand les commandos de chasse ?
L’ouvrage est travail de journaliste et non thèse universitaire. Il repose en grande partie sur des interviews d’individus de niveau très divers et sur des récits combinant considérations d’ensemble, jugements personnels et relation d’incidents de détail. Il comporte des appréciations quelquefois abruptes et forcément plus ou moins subjectives sur des responsables civils et militaires (le « shérif » Bremer, les généraux Franks, Sanchez, Petraeus…) ainsi que sur les unités. Il n’est toutefois pas le brûlot que pourraient laisser supposer les citations incendiaires par lesquelles débute le texte. Il sait à l’occasion exposer des mérites et noter des progrès. On éprouve toutefois une certaine gêne en cours de lecture : lorsque des gouvernements démocratiquement élus déclenchent et mènent un conflit armé engageant les vies et les ressources de la nation, n’est-il pas regrettable (et cela n’est pas nouveau ni réservé aux « aventures américaines ») qu’une partie de l’élite (disons plus simplement des milieux influents) s’attache à critiquer les décisions prises et leur exécution, en fournissant ainsi des arguments, sinon des armes, à l’adversaire ? La liberté d’expression est assurément une bonne chose, mais si on parle de dissymétrie, en voici un élément qui ne facilite pas un éventuel succès final. ♦