À l'occasion de la visite en France de M. Mikhaïl Gorbatchev, l'auteur, chef d'état-major général des forces soviétiques, a prononcé le 5 juillet dernier une conférence (traduite par les cadres et personnels de l'École interarmées du renseignement et des études linguistiques – EIREL) à l'École militaire devant le Centre des hautes études militaires (CHEM) et les Écoles de guerre. De cette intervention deux points importants doivent être retenus : le premier concerne la politique de défense et les conceptions stratégiques de la France, l'autre porte sur la présentation que les autorités soviétiques entendent faire de leur effort militaire, de l'évolution de leur doctrine de défense, de leurs propositions en matière d'équilibre des forces et de désarmement.
Sur le premier point, les propos du général en réponse aux questions qui lui ont été posées revêtent une indiscutable importance. « J'ai donné cette réponse, a-t-il dit, durant ma conversation avec M. Chevènement. À la suite des discussions que j'ai eues avec le général Schmitt, cette réponse a évolué. C'est que vous ne considérez pas l'arme nucléaire comme une arme, mais simplement comme un moyen politique à la disposition des autorités politiques. Votre doctrine répond aux intérêts de votre peuple, de votre pays, et aux intérêts de leur sécurité. Elle ne prévoit pas d'attaque armée contre un État ou contre un pays, mais elle défend les intérêts de votre État et de votre pays… Il est inutile de chercher des sujets de divergence entre nous… Vous êtes un État indépendant, un pays souverain. Le général de Gaulle avait précisément défini les grandes orientations politiques de la France, vous y êtes fidèles et, de plus, elles répondent à vos intérêts aujourd'hui ».
Quelles que soient les remarques que l'on puisse faire sur le vocabulaire employé — c'est précisément parce que l'arme nucléaire stratégique a les caractéristiques que l'on sait qu'elle peut être l'instrument de la stratégie française, elle-même liée à une politique indépendante — l'importance de ces propos est évidente. Non qu'ils soient entièrement nouveaux : au contraire, dans les années 60 et 70 les responsables soviétiques ont à plusieurs reprises reconnu que l'armement nucléaire et la stratégie de dissuasion de la France témoignaient de l'indépendance de la politique française et ils y voyaient son « aspect positif ». Mais, par la suite, et apparemment en réponse à l'engagement de la France en faveur du déploiement des « euromissiles » américains en Europe, on a voulu voir, à Moscou, l'armement nucléaire français comme un élément, parmi d'autres, des forces nucléaires des pays membres de l'Otan, et l'on a demandé leur prise en compte, en vue de leur limitation et de leur réduction, dans la perspective d'un accord américano-soviétique sur les armements nucléaires en Europe. En reconnaissant à nouveau, aujourd'hui, que l'arsenal nucléaire français correspond à l'intérêt national de la France, qu'il est l'instrument de la défense indépendante de nos intérêts et que la politique étrangère soviétique doit le considérer comme tel, le général Moïsseev adopte un langage nouveau qu'il faut remarquer.
Quant à l'exposé qu'il a fait des thèses soviétiques sur la politique de défense de l'URSS et sur les questions de désarmement, c'est évidement un élément important de discussion et de réflexion au moment où ont lieu, sur ces sujets, les négociations de Vienne et de Genève.