Une nouvelle réflexion stratégique
Il y a bien longtemps que nous n’éprouvons autant qu’aujourd’hui le sentiment de vivre de formidables changements. Les certitudes sur lesquelles on s’appuyait — sans doute à tort — depuis plusieurs décennies sont ouvertement battues en brèche : il n’est plus certain que, demain, notre monde soit encore « bipolaire » comme il l’était depuis 1945, ni que les zones d’influence des plus grandes puissances demeurent telles que nous les connaissons, ni que les idéologies que l’on prétendait identifier à chacun des camps de la communauté internationale existent encore, ni que les lignes de partage au sein de cette communauté soient celles que nous avons connues. Chaque semaine, presque chaque jour, nous enregistrons les signes de ces changements.
Comment ceux-ci seraient-ils sans conséquence pour la réflexion stratégique ? Celle-ci se fonde, en effet, sur un certain état des relations internationales autant que sur l’évolution des armements, leurs concepts d’emploi, les rapports de forces. De ce fait, elle doit tenir compte, impérativement, de l’état du monde tel qu’il est et tel qu’il change. Que les perspectives de conflit ne soient plus les mêmes, que les lignes de partage entre les camps opposés se modifient, que ces camps eux-mêmes se transforment, éclatent et se dispersent, et c’est autant de données fondamentales que la réflexion stratégique doit incorporer.
Nul doute que pour beaucoup il n’en résulte bien des interrogations ou même un certain trouble. Et il n’y a rien d’étonnant à cela : on ne renonce pas facilement aux cadres de pensée auxquels on s’était habitué. Que l’on songe à la reconversion intellectuelle radicale que les responsables politiques et militaires français ont dû faire voici quarante ans alors que jamais, de 1871 à 1945, on n’avait imaginé sérieusement d’autres conflits majeurs qu’opposant la France à l’Allemagne. Encore n’est-il pas sûr aujourd’hui que les choses soient aussi simples : les conflits, les rivalités, les ambitions des plus grandes puissances peuvent rester les mêmes dans la période à venir, ou le rester dans une certaine mesure, ou se modifier profondément ; ayons l’humilité de reconnaître qu’il n’existe pas de certitude absolue à cet égard et admettons, en tout cas, que des appréciations très diverses soient possibles.
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