Si l'Est et l'Ouest sont aujourd'hui bien d'accord pour ne plus faire reposer la sécurité en Europe sur le seul équilibre des appareils militaires et la terreur nucléaire, en fait deux conceptions de l'ordre européen s'affrontent : celle du statu quo et celle du mouvement, celle du renforcement de l'hégémonie des supergrands et celle du libre épanouissement de tous les États européens. L'institution d'un organisme régional de sécurité permettrait de progresser vers la réalisation d'une Europe libre du choix de son destin. L'auteur, professeur agrégé de Droit et directeur du Centre d’études juridiques de Sarrebrück, esquisse ici les perspectives qu'offrirait une telle institution en vue de surmonter les obstacles qui jalonnent encore le chemin vers la sécurité et la coopération en Europe.
Libre opinion - Aspects juridiques de la sécurité européenne
Les thèmes étaient classiques, le ton nouveau. Réunis le 5 juillet 1966 à Bucarest puis le 17 mars 1969 à Budapest, les gouvernants des États membres du pacte de Varsovie lançaient une vigoureuse campagne pour la convocation d’une conférence paneuropéenne et l’élaboration d’un traité de sécurité collective à l’échelle du continent. En fait, l’appel n’était guère inédit ; au sceptique, il pouvait même paraître relever de la technique incantatoire chère aux conciles du monde communiste. Dès février 1954, au lendemain de la mort de Staline, ses héritiers, soucieux de prouver le renouveau de la diplomatie soviétique, avaient présenté un projet de traité à soumettre à trente-deux États européens, lesquels se seraient engagés à « s’abstenir de recourir à la menace ou à l’usage de la force » ; il avait été répondu à M. Molotov que l’obligation assumée ferait double emploi avec celle résultant de la Charte des Nations Unies. Trois ans plus tard, en mars 1957, le gouvernement de Moscou avait opposé au « Marché Commun belliciste » la perspective d’une idyllique coopération paneuropéenne ; mais cette nouvelle initiative, trop visiblement liée au désir de démanteler les Communautés naissantes était restée sans écho. Les gouvernants du Kremlin avaient alors « fractionné » leur grand dessein européen : ils avaient confié à leurs alliés le soin de proposer une chaîne d’accords régionaux, dont la réalisation semblait plus aisée. Traité balkanique, suggéré par le président du Conseil roumain, M. Chivu Stoica ; plan de neutralisation nucléaire de l’Europe centrale, élaboré par le ministre polonais des Affaires étrangères, M. Rapacki ; transformation de la Baltique en « mer de paix », préconisée par le chef du gouvernement de Berlin-Est, M. Grotewohl : autant d’échecs. De fait, dans un contexte psychologique qui restait celui de la « guerre froide », ces différents projets ne pouvaient que susciter la méfiance des gouvernements occidentaux : ne préparaient-ils pas une rupture au sein de l’O.T.A.N. et une modification du rapport des forces sur le continent — et aussi la prise en considération de la République démocratique allemande dont Bonn refusait de reconnaître l’existence ? Les pays du pacte de Varsovie étaient donc revenus à leur première méthode : celle tendant à un arrangement global. Mais le processus de détente, résultant de l’équilibre nucléaire stratégique atteint par les deux « Super-Grands » à l’aube des années soixante, donnait désormais une plus grande crédibilité à leur entreprise. Les modifications profondes du climat international — les principaux partenaires ayant pris conscience de l’impossibilité d’atteindre leurs buts par la course aux armements et l’affrontement ouvert, une certaine codification des comportements s’était développée — n’allaient-elles pas se réfracter sur cette Europe où tant d’antagonismes s’étaient accumulés depuis la fin du second conflit mondial ? La proposition polonaise de réunion d’une conférence paneuropéenne, soumise le 14 décembre 1964 à l’Assemblée générale des Nations Unies, puis les déclarations adoptées à Bucarest et à Budapest par le Comité politique consultatif du pacte de Varsovie révèlent l’infléchissement progressif de la démarche des puissances est-européennes : l’« appel » perd de sa virulence, l’« approche de bloc » est moins manifeste dans sa formulation et, lorsque se dissipe la polémique sur la situation géographique exacte de l’Europe et le statut des « puissances extérieures », c’est l’un des postulats essentiels des États socialistes européens qui semble près d’être abandonné. Fallait-il expliquer cette apparente volonté d’apaisement par la pression accrue de la Chine, ou, au contraire, par les espoirs mis dans une certaine lassitude des États-Unis ? Les réactions occidentales, d’abord très réservées, s’avèrent plus confiantes : la session ministérielle du Conseil Atlantique avait mis l’accent, à Reykjavik en 1968, sur une réduction mutuelle et équilibrée des forces armées des deux alliances militaires en Europe ; en avril 1969, à Washington, le Conseil se contentait encore d’exprimer son intérêt de principe pour l’instauration d’une paix durable en Europe, et pour un règlement des problèmes en suspens — particulièrement celui de Berlin ; par la déclaration qu’ils adoptent à Bruxelles le 5 décembre 1969, les alliés atlantiques mentionnent, pour la première fois, la proposition des États du pacte de Varsovie, et soulignent la nécessité d’une préparation très solide de la conférence paneuropéenne envisagée. Le dialogue est donc, implicitement, noué ; les « neutres » européens, qui manifestent, en la circonstance, un dynamisme significatif entreprendront de le faciliter : dès mai 1969, le gouvernement d’Helsinki se déclarait prêt à scruter les positions respectives des puissances intéressées, puis à assumer le rôle d’hôte de la conférence.
Des « appels » du Comité politique consultatif des États membres du pacte de Varsovie aux « réponses » du Conseil Atlantique, les initiatives prises ou acceptées, depuis 1966, sur le thème de la sécurité européenne, expriment une même aspiration élémentaire : la paix en Europe doit être dotée d’une assise plus solide que celle fournie par l’équilibre des appareils militaires ; elle doit être fondée sur un accord juridico-politique qui garantisse la coexistence des groupes d’États en présence, et qui leur permette de pratiquer, à leur avantage mutuel, une coopération diversifiée. Malheureusement, au-delà de ce consensus minimum, les ambiguïtés ne peuvent pas ne pas surgir, tant restent profondes les divergences nées pendant — et après — la guerre froide.
De fait, deux conceptions de la sécurité européenne sont possibles.
Il reste 81 % de l'article à lire
Plan de l'article