L'Armée française sous l'Occupation (t. 3) : Le rassemblement
Dopé par l’accueil flatteur et mérité réservé aux deux premiers tomes de son monumental ouvrage et par les prix qui les ont à juste titre couronnés, soucieux aussi à coup sûr d’amener à son terme une entreprise aussi ambitieuse, François Broche persiste et signe en livrant une suite et fin dans ce tome 3 qui, comme les précédents, est partagé en deux « livres » (Libération et Victoire) sous un volume d’ensemble respectable.
La difficulté, consistant à découper chronologiquement et à présenter de façon claire des événements non seulement militaires, mais aussi politiques et diplomatiques, se déroulant sur des théâtres différents et appréhendés sous des angles également différents, semble avoir été surmontée au mieux. La documentation est aussi variée que solide ; sa richesse amène parfois à des descriptions relativement détaillées des opérations, par exemple en Provence et en Alsace, qui peuvent pousser le lecteur ignorant ou oublieux à sortir la carte et à s’écarter pour un temps de la voie synthétique. Encore que… la précision permet parfois utilement la réflexion : par exemple, à considérer la modestie des effectifs lancés sur Briançon, Nîmes ou Saint-Étienne, puis la vitesse de progression sur les axes bourguignons, on réalise que l’armée française, encore accrochée à la notion de front en 1940, redécouvre la guerre de mouvement quatre ans plus tard.
Les jeux sont faits, le brouillard de la clandestinité n’est plus de mise, il y a désormais les bons et les mauvais. Tout n’est pas rose pour les bons : ils connaissent le froid d’un hiver rigoureux, les soubresauts de la Wehrmacht et la mort ; les chefs rivalisent ; les Américains sont difficiles à manier et à convaincre, de l’AMGOT (1) à la marche sur Paris et de la défense de Strasbourg au tracé d’une zone d’occupation française. Pour se faire une place, il faut redoubler de mérite et apporter des preuves. Le fils du colonel Broche se fait un devoir de cultiver l’impartialité ; les cocoricos sont rares ; ni les maladresses de la résistance intérieure, ni les excès de l’épuration ne sont masqués, pas plus que les limites de l’« amalgame ». Et, du côté des mauvais, le courage est reconnu à ceux de la Charlemagne (plus qu’aux exilés de Sigmaringen occupés à de dérisoires et ultimes manœuvres).
« Le Rassemblement »… le terme n’est-il pas quelque peu optimiste ? Bien sûr, la tentation est forte pour tout esprit soucieux de logique et de classique ordonnance, de fermer la boucle ouverte il y a deux ans au nom de « la Dispersion ». Rassemblée peut-être, mais aussi profondément blessée. Il ne faut pas manquer in fine, sous le titre « Précisions et Errata », une sorte de courrier des lecteurs. Son insertion montre à la fois l’intérêt soulevé par l’ouvrage et la rigueur de son auteur, mais aussi le fait que des plaies ne sont pas refermées après plus d’un demi-siècle. La classification bons-mauvais de 1944 n’était pas exactement en germe aux débuts de Vichy !
Depuis cette époque, le « choix l’emporte sur l’obéissance » pour le corps des officiers. Quant à la France, Broche rappelle des citations dures à entendre : « Ce vieux pays militaire n’aime plus son armée… oubliée par beaucoup, bafouée par certains, acclamée rarement, honnie le plus souvent… ». On nous dit qu’aujourd’hui elle « caracole » allègrement dans les sondages. Il eût sans doute été préférable qu’elle soit mieux soutenue lorsqu’elle était engagée corps et âme « dans deux grands théâtres d’opérations outre-mer ». La lecture des derniers alinéas de cette vaste et brillante étude devrait se terminer dans l’allégresse d’une pure et solidaire victoire ; elle laisse un peu triste et donne l’impression, malgré bien des faits d’arme, que la débâcle du printemps 1940 a désacralisé l’institution, et pour longtemps. Bien sûr, il faut lire les 1 600 pages (au total) de François Broche, et en tirer maints enseignements, mais en attendre nostalgie et réflexion plus que coups de clairon. ♦
(1) AMGOT : Allied Military Government of the occupated territories.