Défense dans le monde - États-Unis : vote par le Sénat des crédits d'équipement et de recherche - République fédérale d'Allemagne (RFA) : la réduction de la durée du service militaire et l'augmentation du volume annuel des appelés - Suède : le budget de défense pour 1971-1972
États-Unis : vote par le Sénat des crédits d’équipement et de recherche (Procurement Bill)
Le Sénat a approuvé le 6 octobre 1970 à une très forte majorité (82 voix contre 4) (1) le projet de loi de finances pour l’année budgétaire 1971-1972 sur l’équipement, la recherche et le développement militaire ainsi que l’infrastructure du système Safeguard. Il a autorisé un total de dépenses de 21 milliards de dollars sur les 22 Md demandés par l’Administration. L’aspect le plus important des votes est l’accord après un rapide débat, des crédits demandés pour le système anti-missiles Safeguard, jusqu’à présent objet de critiques dont l’opposition a fait son cheval de bataille. D’autre part le Sénat ne s’est pas opposé à la poursuite du programme du chasseur Grumman F-14 de la Navy. Ce revirement de la majorité du Sénat à l’égard de la politique militaire du gouvernement est un succès incontestable pour le président Nixon.
L’ensemble des autorisations de dépenses contenues dans le projet de loi de finances voté par le Sénat comprend 13,3 Md$ pour les achats et fabrications, 7,6 Md pour la recherche et le développement et 109 millions pour l’infrastructure de Safeguard. Le montant global des crédits : 21 Md, est supérieur de 2 Md à celui de l’année budgétaire 1970-1971 (2).
Contrairement aux discussions prolongées qui avaient précédé les votes du Sénat en 1969 et 1970, les débats de l’année 1971 ont été assez brefs. En particulier :
– Le Sénat a approuvé en moins de deux heures le déploiement du système Safeguard. 1,1 Md$ ont été accordés, dont 358 M pour le développement du système, 639 M pour l’achat des matériels opérationnels et les 109 M prévus pour l’infrastructure. Une large majorité s’est déclarée en faveur du déploiement complet des sites dont la construction a été entreprise (Grand Forks et Malmstrom) et a rejeté par 62 voix contre 21 l’amendement du sénateur Hughes qui réclamait l’annulation des « crédits de procurement » correspondants, soit 748 M$.
– Le Sénat a d’autre part maintenu l’autorisation d’achat de 48 chasseurs de supériorité aérienne F-14 au profit de la marine ; l’amendement déposé par le sénateur Proxmire, adversaire acharné des systèmes pilotés, qui demandait la suppression des 801 M nécessaires pour cette opération a été également repoussé (61 voix contre 28).
Par ailleurs, le budget de la R&D militaires a été approuvé sans difficulté.
Au total, c’est ainsi près d’une douzaine d’amendements visant à modifier l’orientation de la loi et présentés pour la plupart par l’opposition qui ont été rejetés (3). L’ensemble de ces votes montre que le Sénat a finalement choisi d’appuyer la politique militaire du président Nixon.
Il a en effet conservé les options majeures de l’Administration et réussi cependant, en faisant porter les réductions de crédits sur les programmes les moins critiques, à maintenir le projet de loi en deçà de l’enveloppe des crédits votés par la Chambre des Représentants (21,250 Md).
Le projet de loi doit être maintenant examiné par la Commission mixte Chambre-Sénat qui le présentera au Président. Il appartiendra ensuite à ce dernier de décider de son enveloppe budgétaire définitive. Cette dernière pourrait être, si on se base sur les abattements effectués ces trois dernières années, légèrement supérieure à 20 Md$.
L’approbation par le Sénat, à une aussi forte majorité, de la politique militaire du gouvernement, en particulier dans le domaine des missiles antibalistiques (ABM), doit être considérée comme un net avantage du président Nixon dans la perspective des élections présidentielles de 1972. Par son habileté personnelle, le choix de ses orientations tant au plan intérieur (programme de stabilisation économique) qu’au plan extérieur (dégagement du Vietnam, négociations avec l’Union soviétique, ouverture vers la Chine) ainsi que par les résultats déjà obtenus dans la question des conversations sur la limitation des armements stratégiques SALT, le Président a fini par battre en brèche l’opposition. Il l’a ainsi amenée à soutenir malgré elle une politique militaire aussi réaliste dans ses objectifs que rationnelle dans l’élaboration de ses moyens.
Le vote autorisant le programme Safeguard, qui met fin au profit du gouvernement à un long débat, est une bonne illustration du succès de l’Administration actuelle. L’adhésion massive des sénateurs et la rapidité avec laquelle elle a été obtenue contraste en effet avec les votes très serrés et les débats passionnés des années précédentes : le programme Safeguard n’était passé que de justesse en 1969, avec une marge d’une voix ; en 1970 cette marge n’avait été que de cinq voix.
Le revirement des sénateurs peut s’expliquer en considérant les deux facteurs principaux suivants : d’une part la sagesse de l’Administration, qui a su limiter ses exigences dans le domaine du budget de défense en général et dans le cas du développement de Safeguard en particulier, et d’autre part les perspectives d’un accord sur la limitation des armes stratégiques avec l’Union Soviétique.
La politique du président Nixon a permis, dès son entrée en fonction, de diminuer de façon notable les dépenses de défense. C’est ainsi que le Président s’est contenté de 73,6 Md$ pour l’exercice budgétaire 1970-1971 alors que le président Johnson en avait demandé 81,9 pour l’exercice précédent. Toutefois, tout en réduisant ses exigences, il a toujours su se garder de concessions dangereuses pour la sécurité des États-Unis.
Dans le cas particulier de Safeguard, ce système qui, dans l’hypothèse d’un déploiement complet, doit comporter 12 sites a été limité à 4 dont la construction a été prévue en deux phases :
– la Phase I (1972-1975) déploiement complet de deux sites ABM à Grand Forks (North Dakota) et à Malmstrom (Montana) et préparation de deux autres sites ;
– la Phase II (1975-1977) poursuite du déploiement sur deux sites supplémentaires : Whiteman (Missouri) et Warren (Wyoming).
Au début de 1971, le Président a fait savoir qu’il n’insisterait pas pour l’exécution immédiate de la seconde phase. De ce fait, seuls les crédits pour la phase I et l’exécution de quelques travaux de la phase II ont été votés et accordés (639 M), ce qui permet tout de même l’achèvement complet des travaux à Grand Forks et Malmstrom et l’installation de matériels de détection et de guidage à Whiteman. En 1975, les États-Unis devraient donc disposer d’une barrière ABM opérationnelle capable de protéger 350 Minuteman.
D’autre part, le fait que la décision de déployer Safeguard pourrait faciliter la négociation d’un accord sur la limitation des armements stratégiques est enfin apparu aux sénateurs. En effet, l’Union soviétique ne saurait être amenée à négocier sérieusement que dans la mesure où l’Administration aurait, grâce au début du déploiement ABM, des atouts à marchander. Or au cours des débats, le gouvernement a averti le Sénat des perspectives d’un accord avant la fin de l’année dans le domaine des armes défensives. Ainsi, la nécessité de ne pas fausser les bases des futures négociations a incité de nombreux sénateurs à voter en faveur du déploiement recommandé.
Sur le plan des autres programmes d’armements, si l’approbation du programme F-14 par le Sénat est sans doute un succès moindre que celle de Safeguard, les militaires s’en féliciteront cependant. En effet, l’acquisition des 48 F-14 devrait permettre de poursuivre l’équipement des porte-avions de la marine dans les délais prévus et de réaliser le programme de l’avion de supériorité aérienne McDonnell Douglas F-15 Eagle de l’US Air Force, qui paraît nécessaire tant pour la défense aérienne des États-Unis (une version intercepteur « Improved Manned Interceptor » du F-15 sera probablement construite) que pour la couverture aérienne des théâtres d’opérations extérieurs.
Par ailleurs, les crédits de recherche permettent de relancer l’effort scientifique et technique nécessaire à la réalisation des systèmes d’armes de la prochaine décennie. En particulier ceux destinés au développement du bombardier Rockwell B-1 et du sous-marin ULMS (Undersea Long Range Missile System) n’ont pas été réduits de manière sensible. Le programme du char de bataille (MBT-70 devenu le XM-803) a même été très fortement appuyé par le Sénat, qui a voté un crédit supplémentaire de 35 M$ pour ce projet [NDLR 2021 : ce projet n’aboutira pas, la République fédérale d’Allemagne s’en retirant]. Seul a été réduit sérieusement le chapitre des télécommunications.
En définitive, l’accroissement de 2 Md$, des sommes consacrées à l’équipement et à la recherche militaires, bien que léger, permet de penser que la courbe des crédits du Département de la Défense a atteint son point le plus bas en 1970. Si les sénateurs ont jugé cet accroissement nécessaire à la modernisation des forces armées américaines, ils l’ont sans doute aussi estimé indispensable au maintien, à un niveau suffisant, de l’activité des industries d’armement, qui ont été obligées, du fait des réductions de commandes militaires de ces trois dernières années (4), de supprimer plus d’un million d’emplois depuis 1969.
En définitive, l’opposition démocrate au Sénat a été amenée à constater l’efficacité de la politique du président Nixon. Les sénateurs libéraux ont été désarmés tant par le désengagement au Vietnam, l’ouverture vers la Chine, les résultats des conversations sur la limitation des armements stratégiques (SALT) que par le plan de redressement économique du Président. Le nouveau succès remporté lors du vote du « Procurement Bill » doit être considéré comme une marque de la confiance grandissante accordée par les représentants américains au président Nixon.
République fédérale d’Allemagne : la réduction de la durée du service militaire et l’augmentation du volume annuel des appelés
Le 10 septembre 1971, le Cabinet fédéral a arrêté simultanément deux mesures intéressant la défense et dont l’Otan a été informée : la réduction de la durée du service militaire de 18 à 15 mois et l’augmentation du volume des appelés qui passera annuellement de 195 000 à 240 000, représentant ainsi 75 % d’une classe d’âge au lieu de 60 % actuellement.
Prévue pour entrer en vigueur le 13 décembre 1972, sous réserve que les dispositions législatives correspondantes aient été prises, cette réforme est l’aboutissement d’une étude demandée par le ministre de la Défense [Helmut Schmidt] et conduite par la Commission Mommer. Son objectif était de rechercher les possibilités d’une plus grande égalité devant le service militaire, en tenant compte d’une part, de la nécessité pour la RFA de remplir ses obligations vis-à-vis de l’Otan, d’autre part, du souci du gouvernement de respecter le cadre financier du plan à moyen terme. Mais alors que la Commission avait proposé de porter la durée du service à 16 mois, le Cabinet l’a, en fait, ramené à 15 mois. Il a, par contre, retenu sans la modifier la proposition concernant l’accroissement du volume des appelés. Un additif à ces deux dispositions principales permet, de plus, de prolonger de plusieurs mois la période de disponibilité à l’issue du service, formule qui paraît plus souple qu’une mobilisation partielle.
Les dépenses supplémentaires occasionnées par cette réforme ont déjà été prévues dans le budget de 1972. Le programme « égalité devant le service militaire » disposerait d’un crédit de 180 M de DM qui serait porté à 400 M de DM les années suivantes.
Selon certains milieux militaires, la réduction du service à 15 mois présentera beaucoup plus d’inconvénients qu’une réduction à 16 mois. Elle entraînera notamment un accroissement du déficit des cadres dans les unités opérationnelles du fait des charges supplémentaires d’instruction et pour l’armée de terre, surtout, la difficulté de synchroniser le rythme d’incorporation et la période d’instruction. Elle peut en outre donner l’impression d’un affaiblissement de l’effort de défense de la RFA et servir d’argument aux milieux de l’opposition américaine partisans d’une réduction de la présence militaire des États-Unis en Allemagne.
Pour M. Schmidt, par contre, cette réforme ne pourra qu’affermir le moral de l’armée du fait que l’égalité devant le service militaire sera effectivement réalisée.
Suède : le budget de Défense pour 1971-1972
Le budget global de l’État suédois pour la période du 1er juillet 1971 au 30 juin 1972 s’élève à 51 725 M de couronnes (5). La part du Département de la Défense représente 6 545 M de couronnes, soit 12,65 % du budget total. Marquant une hausse nominale de 12,1 % par rapport à celui de 1970-1971, ce budget militaire n’est en fait que la reconduction du précédent, car il comporte des crédits importants destinés à parer aux augmentations des prix du marché et des salaires.
Durant le premier trimestre de 1971, la Suède a connu de graves troubles sociaux qui ont abouti à un renouvellement des conventions collectives prévoyant pour les trois années 1971, 1972 et 1973 une augmentation de la masse des salaires privés de 27,6 % et de celle des rémunérations des fonctionnaires de l’État et des communes de 22 %. De plus, les prévisions pour 1971 faisaient état, avant cet accord salarial, d’une augmentation probable des prix de 6,8 %. Il est vraisemblable que ce chiffre sera dépassé.
Dans ces conditions, il apparaît que l’augmentation nominale du budget de la Défense sera en grande partie, sinon totalement, absorbée par cette augmentation des coûts et que le pouvoir d’achat des moyens de paiement et des autorisations de commandes sera à peine maintenu et pourra même être en régression.
Représentant 3,60 % du PNB au lieu de 3,16 % pour l’exercice précédent, ce budget ne permettra pas de rattraper le retard pris dans le plan à moyen terme (1968-1972) et doit être plutôt considéré comme un budget de transition avant la mise en application d’un programme de développement de 5 ans qui devrait être présenté avant la fin de cette année.
La ventilation des crédits marque en valeur relative une stabilisation de la hausse des dépenses de fonctionnement. S’élevant à 3 822 M de couronnes, elles représentent 58,3 % du budget de la Défense. Corrélativement, les crédits d’équipement, d’un montant de 2 723 M de couronnes, dont 331 M sont affectés au poste « Études, Recherches, Prototypes », en représentent 41,7 %. En 1970-1971, ces pourcentages étaient respectivement de 60,7 % et 39,3 %.
En outre, le budget 1971-1972 comprend des autorisations de programme d’un volume de 1629 M de couronnes. En régression sur celles de l’exercice 1970-1971 qui atteignaient 2 648 M, en particulier à cause de l’adoption du programme Viggen (6), elles concernent cette année, entre autres le matériel roulant de l’armée de terre (canons automoteurs d’infanterie) et la modernisation des installations radar et de transmissions de l’armée de l’air, ainsi qu’un complément de la série Viggen (avions d’assaut et école).
Ainsi le budget qui vient d’être adopté pour 1971-1972 ne fait état d’aucune acquisition de matériel majeur et ne permet pas d’envisager l’orientation que le gouvernement va donner à la Défense.
Selon le général Synnergren, chef des forces armées suédoises, l’objectif précisé pour la période quadriennale 1968-1972 qui était de maintenir le potentiel militaire à son niveau quantitatif et qualitatif ne pourra pas être atteint.
Sans doute le niveau quantitatif est-il resté à peu près le même jusqu’à ce jour. Mais la valeur des forces armées s’est ressentie des contraintes financières qui ont imposé l’abandon de certains projets de modernisation, l’abaissement de la capacité opérationnelle de quelques matériels majeurs et l’étalement des livraisons. ♦
(1) Seuls ont voté contre le projet les sénateurs Mansfield, Fulbright, Nelson et Gravel.
(2) En 1970, le Sénat avait voté 19,9 Md d’autorisations et 19,2 en 1971. Les crédits définitivement autorisés au titre de l’amendement (« Procurement Bill ») de 1970 et 1971 ont été respectivement de 19,3 et 18,9 Md$.
(3) À l’exclusion de l’annulation des crédits pour la réalisation du projet Sanguine (installation d’une antenne souterraine destinée à un système de communications avec les sous-marins nucléaires en plongée).
(4) D’après la revue US News and World Report, les industries d’armement américaines ont été frustrées d’un total de 9 Md$ de contrats depuis 1968 ; 1 100 000 emplois ont dû être supprimés.
(5) 1 couronne suédoise = 1,10 franc français.
(6) En remplacement du SAAB 35 Draken, 175 appareils SAAB 37 Viggen (version assaut) ont été commandés. Leur livraison a commencé au milieu de l’année 1971.