Jamais dit
Un titre moins neutre et moins elliptique eût mieux convenu, puisqu’aussi bien c’est toujours du général de Gaulle qu’il s’agit en ce nouveau volume de l’histoire secrète – j’allais dire de la petite histoire – dont Jean-Raymond Tournoux s’est fait une spécialité. Mais lorsque le personnage principal a la stature de celui-là, il n’y a pas de petite histoire, ou plutôt celle-ci grandit à la mesure de son héros. Cette fois, l’auteur ne s’attache pas à un épisode particulier de la vie du plus illustre des Français, mais se livre à une reconstruction d’une image à l’aide d’un ensemble de documents d’une authenticité indiscutable et de témoignages jusque-là non révélés, pour la plupart puisés aux meilleures sources qui sont toutes citées sans crainte de démenti.
Mentionnons quelques-unes de ces pièces les plus remarquables : le carnet de campagne du capitaine de Gaulle pendant la campagne de 1919 en Pologne, les lettres échangées avec le Maréchal Pétain ou son entourage à propos du droit d’auteur de La France et son armée, le mémorandum de 1959 au président Eisenhower et à M. Macmillan au sujet de la révision des buts de l’Otan, une note du Général en décembre 1959 indiquant clairement sa conception à propos de l’Algérie, etc.
De l’ensemble de ce « dossier » impressionnant se dégage, non pas une image nouvelle mais une image plus complète et plus affinée, plus émouvante aussi, de celui qui ne fut pas seulement un homme d’État exceptionnel, mais aussi un homme. C’est l’image d’un père qui se penche avec douceur vers le berceau d’une enfant handicapée, d’un jeune officier qui souffre des médiocrités et des insuffisances de l’État-major des années 1930, d’un colonel commandant un régiment de chars qui fait jeter au fossé les fleurs dont ses chars ont été couverts dans la lâche euphorie de Munich, le Saint-Cyrien, qui, parvenu au faîte du pouvoir, fait secourir en secret, de ses deniers personnels, la famille d’un « soldat perdu »…
« Des secrets, écrivait en 1959 le général de Gaulle à l’auteur, il n’y en avait pas pour vous. Voici que grâce à vous il n’y en a plus pour le public ». Mais les véritables secrets ce sont ceux-là que créait la distance de l’homme d’État et qui empêchaient de voir Charles de Gaulle en homme avec ses peines, ses faiblesses, ses doutes et ses hésitations. Ainsi s’effritent certains contours abrupts d’une image et se révèlent les « deux être raciniens » qui habitent l’homme à la veille de toutes les grandes décisions et les tentations du désespoir et de l’abandon devant l’échec. « Ainsi, durant toute la vie prodigieuse de Charles de Gaulle, un perpétuel combat intérieur oppose les démons du renoncement et les archanges du devoir ». Une seule tentation ne l’assaillit jamais, celle de la dictature. Si tant est qu’on eût besoin de s’en convaincre, Jean-Raymond Tournoux en donne de multiples preuves et c’est sur cette remarque qu’il termine : « Il quitte les Français en démocrate incontesté. Son départ est son dernier exploit ».
L’un de nos excellents confrères a dit très justement de ce livre qu’il est plus passionnant qu’un roman. ♦