L’opération Dynamo a été un succès organisationnel et tactique, s’appuyant sur la pause imposée par le Führer le 24 mai 1940 à la progression inexorable de la Wehrmacht vers la Manche. Dunkerque a permis de préserver la supériorité aérienne et navale britannique qui allait se révéler dans les semaines suivantes lors de la bataille d’Angleterre.
Histoire militaire - Dunkerque, causes et conséquences d’un rembarquement réussi
Military History—Dunkirk, Causes and Consequences of a Successful Evacuation
Operation Dynamo was a tactical and organisational success, built on the 24 May 1940 pause imposed by the Führer on the inexorable progression of the Wehrmacht towards the English Channel. Dunkirk allowed the British to maintain the air and naval superiority that was to prove essential in the weeks that followed, during the Battle of Britain.
Le terme de « miracle » de Dunkerque est parfois évoqué pour qualifier l’opération de rembarquement du contingent britannique engagé sur le théâtre français. Mais, pas plus que celui de la Marne, au sujet duquel le même terme est employé, il ne s’agit d’un miracle ! À la base du succès allié à Dunkerque, on trouve bien évidemment, une logique stratégique.
C’est le 24 mai 1940 que leur chance de survie fut donnée aux armées du Nord, alors même que leurs capacités offensives avaient, elles, totalement fondu. Ce jour-là, alors que les chars de Guderian, soutenus par deux régiments d’infanterie SS, détachés, abordent la coupure de l’Aa, à une vingtaine de kilomètres de Dunkerque, l’ordre leur est donné de s’arrêter sur place. Aucun obstacle infranchissable ne les eût empêchés de mettre la main sur le dernier port ouvert aux Alliés, et ceux-ci eussent été condamnés à un encerclement définitif. L’ordre parut si incompréhensible aux exécutants, que von Kleist, le supérieur hiérarchique de Guderian, fit encore progresser les blindés de Reinhardt jusqu’au-delà d’Hazebrouck, au sud-est de Dunkerque, en vue de converger ensuite avec ceux de Guderian pour la prise du port. Mais un nouvel ordre de l’OKH (le haut commandement allemand) lui notifia d’avoir à se replier. Le très prudent chef d’état-major de l’armée de terre, le général von Brauchitsch, protesta personnellement auprès d’Hitler. Rien n’y fit. Le Führersbefehl fut maintenu durant toute la journée du 25, au point que Guderian fut obligé de rappeler les deux régiments SS, détachés dans son corps d’armée, qui progressaient en direction de Bergues, la banlieue de Dunkerque. L’ordre fut répété le 26. Dans l’après-midi, Hitler autorisa enfin la reprise de la progression pour le lendemain matin. Mais, le dispositif allié s’était fortement organisé et étayé, si bien que sa capacité de résistance, inexistante quarante-huit heures plus tôt, commençait à prendre forme. Guderian ne progressa que lentement, avec des pertes, et ne put atteindre Gravelines que le surlendemain, le 29 mai. L’ordre d’arrêt fut alors réitéré, et cette fois-ci, de manière définitive : les divisions blindées furent retirées du front, relevées par de grandes unités d’infanterie et redéployées à hauteur de la Somme et de l’Aisne, en vue de la seconde phase de la campagne de France.
L’évacuation des unités alliées était alors en cours. Si seulement 1 400 hommes furent embarqués et évacués le 26 mai et 7 500 le 27, ce furent 17 800 qui le furent le 28, chiffre porté à 54 000 le 30, pour culminer à 64 000 le 1er juin, retomber à 20 000 le 2, et dans la dernière nuit, celle du 2 au 3, 50 bateaux évacuèrent 38 000 Français. Au total, ce furent 337 000 hommes qui réussirent à être évacués, dont 110 000 Français et quelques milliers de Belges.
Le salut de près de 350 000 hommes a donc tenu à l’ordre d’arrêt donné par Hitler, passé à la postérité sous le nom de Führersbefehl, retiré provisoirement dans l’après-midi du 26, et renouvelé, cette fois-ci définitivement le 29. Aucun doute ne subsiste cependant quant à sa portée ; sans lui, le corps expéditionnaire britannique en entier et la partie de la 1re Armée française non encerclée à Lille auraient été capturés en totalité.
Que les Alliés aient dû laisser sur place la totalité de leur matériel lourd et que 30 000 hommes aient été encore faits prisonniers à Dunkerque le 4 juin, n’empêche pas que l’opération Dynamo d’évacuation des forces alliées par Dunkerque se soit soldée par un succès auquel personne ne s’attendait.
Quelles étaient donc les raisons qui dictèrent le choix d’Hitler et qui ont fait, depuis, l’objet d’innombrables controverses dont l’historiographie s’est fait l’écho, mais qui, aujourd’hui sont à peu près tues, un consensus s’étant peu à peu mis en place sur ce sujet.
Celles qui furent alors données aux généraux allemands stupéfaits tenaient à deux préoccupations principales : en premier lieu, les forces blindées allemandes ne devaient pas s’exposer à de nouvelles pertes dans une région marquée par un dense réseau de canaux où les possibilités de défense antichar étaient loin d’être négligeables, alors que leur engagement à leur potentiel maximal allait être décisif dans la campagne qui allait s’ouvrir quelques jours plus tard sur la Somme, et dont il était attendu l’anéantissement complet des armées françaises. Par ailleurs, l’aviation allemande serait en mesure d’anéantir les forces alliées concentrées à Dunkerque, grâce à sa maîtrise du ciel.
Telles furent en effet, les explications données aux généraux allemands. Le chef d’état-major de la Wehrmacht, le général Keitel, le collaborateur militaire le plus proche d’Hitler, expliqua au général von Lossberg, de son bureau « Opérations », que les Flandres étaient une région trop marécageuse pour l’engagement des blindés et que l’interdiction de réembarquement des Alliés était tout à fait à la mesure de la Luftwaffe. Le supérieur immédiat de Lossberg, Jodl, ajouta qu’il ne valait pas la peine « de sacrifier un seul char, si la Luftwaffe parvenait au même résultat ». Kesselring, qui commandait la Luftflotte adaptée au groupe d’armées A et, à ce titre, chargé de s’opposer au réembarquement allié en fut très surpris, car devait-il affirmer plus tard, Göring aurait dû connaître le degré d’usure de ses escadrons et la fatigue accumulée par ses pilotes, qui multipliaient les sorties quotidiennement depuis le 10 mai.
Sans doute, l’OKW pensait-il également que le groupe d’armées von Bock, engagé dans le sud de la Belgique ne tarderait pas à exercer aussi une pression sur Dunkerque. Le chef d’état-major de Brauchitsch, Halder, d’ordinaire très méfiant devant les audaces stratégiques d’Hitler, crut pouvoir interpréter l’ordre donné, qu’il désapprouvait par ailleurs : « Je voulais faire du groupe d’armées Rundstedt le marteau, et de celui de Bock l’enclume. Maintenant, Rundstedt sera l’enclume et Bock le marteau. »
Si faibles étaient les raisons invoquées pour justifier l’ordre d’arrêt, que les généraux allemands y soupçonnèrent rapidement des motifs d’ordre politique. À l’état-major de l’Armée, le chef du bureau « Opérations » s’interrogea : « Voulons-nous faire des ponts d’or aux Anglais ? Allons-nous leur permettre de réembarquer ? C’est un scandale ! » Halder y vit « un prétexte pour camoufler une réorientation politique ». Certains eurent des raisons de croire qu’une préoccupation de nature politique dictait les choix opérationnels d’Hitler. Lors d’un de ses passages à l’état-major de Rundstedt, son chef d’état-major, Blumentritt fut si marqué par une de ses interventions qu’il en prit immédiatement note : « Hitler nous stupéfia en nous parlant avec admiration de l’Empire britannique, de la nécessité de son existence et de la civilisation que l’Angleterre avait apportée au monde… Il compara l’Empire britannique et l’Église catholique en disant qu’ils étaient tous deux des éléments essentiels de la stabilité du monde. Tout ce qu’il désirait, c’est que les Anglais reconnussent la position dominante du Reich sur le continent européen… Il conclut en disant que son but était de faire la paix avec l’Angleterre sur une base qu’elle considérerait comme compatible avec son honneur ».
Il est compréhensible que des généraux, soucieux d’achever une campagne victorieuse par un raid sur Dunkerque, aient cherché des motivations politiques à un ordre d’arrêt, peu justifié, à leurs yeux, par des motifs d’ordre opérationnel, et dont les conséquences risquaient d’être lourdes et à l’opposé de leurs buts. En fait, tout porte à croire que les motifs invoqués sur le moment par Hitler et Keitel correspondaient en effet réellement à ceux qui les avaient guidés. D’un bout à l’autre de la campagne, le haut commandement allemand n’avait cessé de s’inquiéter d’hypothétiques contre-attaques qui auraient pu menacer les flancs des grandes unités blindées et tout avait été fait pour préserver leur puissance et leur capacité offensive. De même, l’état-major allemand pensait que leur rôle ultérieur serait de parachever l’écrasement militaire français, en exploitant dans la foulée la rupture du dispositif français sur la Somme et l’Aisne. Il s’avérait donc essentiel de leur éviter pertes et enlisement dans les Flandres. D’où l’idée de les stopper sur l’Aa et de confier à la Luftwaffe la mission d’interdiction de réembarquement du corps expéditionnaire britannique. Et ce, d’autant plus que le réengagement des corps blindés sur une direction à 180° de celle où ils se trouvaient alors engagés, et à 150 kilomètres plus au sud, demandait une planification fine de la part des états-majors et des délais d’exécution incompressibles. En outre, le renouvellement de l’ordre d’arrêt du 29 était sûrement dû à la capitulation belge. Plus rien ne s’opposait dorénavant à l’engagement d’une partie du groupe d’armées Bock vers Dunkerque. Mais les Britanniques, habilement commandés par Allanbrooke, relevés ensuite par des unités françaises, opposèrent une résistance opiniâtre et tinrent les abords de la ville de Dunkerque.
On aurait tort cependant de voir dans Dynamo un épisode déterminant pour la suite de la guerre. Les quelque 220 000 Britanniques rapatriés de France n’ont pas joué un rôle significatif dans la future bataille d’Angleterre. Privés de leur matériel, ils n’avaient guère de valeur militaire supérieure à celle des effectifs présents en Angleterre, en cours d’entraînement. Ce n’est d’ailleurs pas le volume des effectifs britanniques qui comptait essentiellement : c’est l’incontestable supériorité aérienne et navale britannique qui devait jouer un rôle majeur en août et septembre.
Le véritable enseignement de Dunkerque, bien qu’il échappât à la plupart des protagonistes, c’est que justement cette supériorité commençait à apparaître. Kesselring, seul, avait mis en garde Göring contre la supériorité des appareils britanniques, notamment le Spitfire, en matière d’interception. Et ces appareils entraient peu à peu en service et venaient combler les pertes au combat. La Luftwaffe allait se trouver en état de relative faiblesse. Certes, elle avait coulé six destroyers et quelques autres bâtiments britanniques, deux contre-torpilleurs et six torpilleurs français. Elle avait également envoyé par le fond 229 bâtiments de transport et abattu 180 appareils britanniques. Mais à aucun moment, elle n’avait eu la maîtrise de l’espace aérien et réussi à en chasser la RAF. L’usure de la Luftwaffe, déjà perceptible en d’autres occasions, s’accentua, et sa perte de supériorité vis-à-vis de la RAF commençait à se faire jour.
In fine, c’est pour conserver cette supériorité aérienne que la décision fut prise au plus haut niveau de ne pas engager la RAF dans la campagne de France au mois de juin, et pour l’aspect naval, l’argument entra en partie en ligne de compte dans la décision de jouer Catapult, l’attaque de Mers-el-Kébir contre la flotte française qui, capturée par les Allemands, aurait alors irrémédiablement renversé le rapport de force en bâtiments modernes. ♦