70 ans des combats de la RC4
7 octobre : Colonne Lepage, la sortie de Coc Xa et la destruction de la colonne
7 octobre : Colonne Lepage, la sortie de Coc Xa et la destruction de la colonne
Carte de la RC4 (ONAC : www.caobang.fr/)
À 3 heures, le Bataillon étranger de parachutistes (BEP) se rassemble silencieusement. Les unités prennent successivement leur formation de combat. Le silence est angoissant, mais le contact est bientôt pris. C’est alors un fracas assourdissant : éclatements de mortiers, crépitement des armes automatiques, bruits de fusillades que répercute, en les amplifiant, l’écho des murailles calcaires. Le sillage des traçantes, l’explosion des grenades, le feu des départs illuminent l’obscurité ambiante. Dans un cadre dantesque, la lutte est homérique.
Les premières vagues d’assaut sont anéanties ou clouées au sol. Les assauts n’en sont pas moins renouvelés. Ils se terminent au corps à corps au milieu des cris de rage des combattants, de souffrance des blessés. Lepage se tient au Poste de commandement (PC) du commandant Segrétain, qui commande le BEP d’où il suit, à plat ventre contre les rochers, le dénouement du combat. À la pointe du jour, les unités du BEP ont été usées tour à tour : après la jonction des deux colonnes, il ne reste du BEP que 100 hommes. Tous les commandants de compagnie, plus de la moitié des chefs de sections, ont été tués. Un goum du 1er Tabor est engagé, il fonce en hurlant le chant de la chaada (1) et il trouve le chemin libre. Dans un effort désespéré, les survivants du BEP s’étaient regroupés et, dans un furieux assaut, avaient forcé le passage.
Plusieurs unités (goums et tirailleurs) stoppées depuis plusieurs heures au débouché de la cuvette, talonnées par l’ennemi, suivent pas à pas le décrochage et tentent de franchir, au sud, la muraille calcaire. Tombant sur des à pic profonds, s’aidant des lianes où se suspendent de véritables grappes humaines au milieu d’une végétation inextricable, ces unités ne devaient atteindre la vallée que désorganisées, dépourvues de leur armement lourd et de leur matériel.
En bas, c’est la mêlée générale. La vallée est envahie de combattants vietminhs. Chaque unité ou détachement doit combattre pour se frayer un passage. L’escalade des croupes de Qui Chan, où une unité de partisans de Cao Bang attend, commence enfin. Sous le feu des mortiers et des tirs ajustés des mitrailleuses, les survivants du groupement « Bayard » dont quelques unités constituées font liaison avec la colonne Charton.
Vers 13 heures, le lieutenant-colonel Lepage serre la main du lieutenant-colonel Charton qu’il quitte presque aussitôt pour procéder, avant de prendre le commandement de l’ensemble, au dénombrement de ses effectifs et à leur regroupement. Il ne reste plus au groupement « Bayard » que 560 hommes, répartis de la manière suivante :
• 100 hommes, gradés compris du 1er BEP ;
• 140 hommes du 8e Régiment de tirailleurs marocains (8e RTM) ;
• 170 hommes du 1er Tabor ;
• 50 hommes du 11e Tabor ;
• et parmi le Goum de protection et divers : 100 hommes.
Au moment où le groupement « Bayard » rejoint la colonne Charton, la situation est alarmante. Les Partisans qui assurent le recueil de ce groupement sont l’objet de tentatives d’encerclement et les rescapés de ce dernier ne le rejoignent que de justesse.
Le 3e Tabor (de la colonne Charton) qui tient la cote 477 doit, depuis plusieurs heures faire face à de furieuses attaques vietminhs. Il est bientôt contraint de se replier sur un piton intermédiaire entre la cote 477 et un autre piton à 2 500 mètres plus au sud où s’était enterré le 3e Bataillon du 3e Régiment étranger d’infanterie (III/3e REI).
L’ennemi occupe aussitôt la cote 477. Il bat de ses feux et frappe au mortier cette nouvelle position qui sera bientôt intenable. Il faut à tout prix progresser. Le 3e Tabor tente de s’installer sur une croupe boisée au sud-ouest de la position du III/3e REI, où reflue ce qui reste des deux colonnes.
Cette manœuvre se révèle impossible. L’ennemi la devance en battant avec leurs armes automatiques toutes les pentes nord de cette position, en y interdisant l’accès : c’est à compter de ce moment qu’il n’est plus possible de continuer à faire référence à deux colonnes cohérentes. Il ne s’agit plus que d’un combat des restes des troupes.
Toute progression est donc stoppée. Tout le monde s’entasse autour du III/3e REI et cette position est dominée et soumise à des feux d’armes automatiques de plus en plus denses et à un feu intensif des mortiers.
Le lieutenant-colonel Lepage qui n’a pas revu le lieutenant-colonel Charton réunit auprès du PC du III/3e REI, où se trouve également le PC Charton, les commandants Segrétain, Delcros, Faujas, les capitaines Labignette – qui a remplacé Forget, tué, au commandement du III/3e REI – Maury et Tissier des Forces indochinoises (FI) dont on est sans nouvelles du gros.
Il décide de tenter une ultime sortie de vive force par les ravins boisés à l’est de la position du III/3e REI. Cet élément qui demeure le plus homogène et qui est légèrement enterré sur la position doit tenir jusqu’à la nuit, pour permettre aux autres unités de décrocher immédiatement. Il part à son tour, mais par l’ouest, à la faveur de la nuit. Les unités foncent successivement sur le même axe en vue de bousculer, à n’importe quel prix, l’obstacle qui pourrait leur être opposé. Les unités partent dans l’ordre suivant : 3e Tabor, 11e Tabor et 1er PC, goum de protection et FI. Le BEP a demandé sa liberté de manœuvre pour tenter de s’infiltrer par petits paquets. En fait, il prendra place derrière les FI.
Le départ s’effectue à vive allure. Le PC et son goum de protection sont bientôt distancés. Ils recueillent le commandant Faugeas, qui, souffrant d’une jambe, n’a pas pu suivre. Le petit détachement passe la nuit sans incident sur une croupe boisée à quelques centaines de mètres au sud de Na Kéo. ♦
(1) La chaada (ou chahada) qui signifie « témoignage » ou « attestation » est une prière musulmane, la profession de foi essentiel du culte, et constitue l’un des cinq piliers de l’islam.
Publié le 07 octobre 2020
Claude Franc