70 ans des combats de la RC4
7 octobre : colonne Charton, le recueil des restes de la colonne Lepage et sa destruction
7 octobre : colonne Charton, le recueil des restes de la colonne Lepage et sa destruction
Carte de la RC4 (ONAC : www.caobang.fr/)
Vers 3 heures du matin, lorsque le groupement Lepage décroche dans un bruit assourdissant d’armes de toutes sortes, le colonel Charton se demande avec inquiétude s’il pourra encore recueillir des unités cohérentes. Il espère que le groupement Lepage se rassemblera derrière la position d’accueil constituée par les compagnies de Partisans de Chi Chan et progressera ensuite en direction de Na Kéo par le mouvement de terrain partant de Chi Chan. Dans ces conditions, les deux groupements pourraient constituer une force manœuvrière très solide et largement étalée sur le terrain.
Dès le lever du jour, vers 6 heures, la situation générale, et en particulier celle du groupement Charton, s’aggrave de façon catastrophique. Toutes les positions du groupement Charton sont soumises à un tir violent et ajusté de mortiers lourds et légers. À 6 h 30, la compagnie de Partisans qui occupe le piton dominant Ban Ca – compagnie peu aguerrie et assez mal encadrée – qui se laisse surprendre par une attaque vietminh est rejetée de sa position et pratiquement anéantie. Inutile de souligner l’importance de la perte de cette position pour le déroulement des opérations à venir.
Vers 7 heures, le 3e Tabor perd à son tour, après de violents combats, le piton de Qiang Liet, tenu par un goum. Aussitôt, l’ennemi relance l’attaque de celui situé à 600 mètres au sud de la cote 477. Après de vifs combats, le vietminh rejette les goumiers et enlève le piton.
Le 3e Bataillon du 3e Régiment étranger d’infanterie (III/3e REI) qui, dès la pointe du jour, s’est mis en marche pour pousser, selon les ordres, le plus loin possible vers That Khé par les hauteurs, arrive enfin à la cote 477 et contre-attaque aussitôt. Le piton situé 600 mètres au sud de cette dernière est repris sans trop de difficultés ; par contre, tous les assauts les plus furieux se révèlent inutiles et meurtriers sur le piton de Quang Liet, faute de préparation possible de mortiers et d’intervention aérienne. Le commandant Forget est mortellement blessé en montant lui-même à l’assaut de ce piton pour entraîner ses légionnaires.
Le colonel Charton donne l’ordre de ne pas insister. Il tente avec ses maigres réserves un débordement qui semble logique par l’ouest. Malgré deux tentatives, ce débordement échoue : il était d’ailleurs mené par des troupes déjà démoralisées (les rescapés de Tan Bé). Le moral commence à être atteint. Les restes du groupement Lepage refluent en complet désordre sur les positions de recueil. Les unités sont mélangées et désorganisées, beaucoup manquent de munitions ; partisans, parachutistes, goumiers, légionnaires du Bataillon étranger de parachutistes (BEP), tous s’entassent derrière le III/3e REI ou se mélangent à lui.
Le colonel Charton prend contact avec le colonel Lepage et les différents commandants de bataillon du groupement Lepage. Il explique que la situation est mauvaise, il leur demande de faire l’impossible pour regrouper leurs unités, à l’est de son propre groupement.
Le colonel Lepage quitte le colonel Charton pour tenter de regrouper les unités, mais le commandement se révèle pratiquement infaisable. Devant l’agitation qui ne fait qu’augmenter, le colonel Charton exige de la Zone Frontière du nord-est (ZFNE) de demander le parachutage d’un bataillon à Ban Ca, point de passage obligé vers That Khé. L’irruption d’un bataillon frais à cet endroit aurait été décisive, car rien n’était encore définitivement perdu. Ce parachutage aurait aussitôt regonflé le moral de tout le monde, tout en maintenant ouverte la route de That Khé.
Dans cette atmosphère de catastrophe, un sous-officier isolé informe le colonel Charton de la dispersion des deux compagnies de Partisans. Une nouvelle qui devait s’avérer totalement erronée.
C’est alors que, vers 16 heures, se produit un événement mortel pour la poursuite des opérations. Tout à coup, les hommes se mettent à crier que le Vietminh s’est emparé de la cote 477, ce qui est alors observable à l’œil nu.
La situation à cet instant paraît désespérée. Les deux groupements sont entassés, littéralement, au coude à coude sur moins d’un kilomètre dans l’ensellement compris entre la cote 477 au nord et le piton à un kilomètre au sud de celle-ci. Que le Vietminh place des mitrailleuses, des mortiers, voire de simples fusils mitrailleurs (FM) sur la cote 477 et ils pouvaient prendre en enfilade les deux groupements.
Il semble au colonel Charton, qui avait perdu le contact avec le colonel Lepage dans la pagaille ambiante, qu’il faille prendre une décision immédiate pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l’être. Avant tout, il faut desserrer le dispositif. Il demande successivement au commandant Arnaud du 8e Régiment de tirailleurs marocains (8e RTM), et au commandant Labataille, adjoint du colonel Lepage qui se trouvaient à ses côtés, de pousser ce qu’ils pourraient encore commander de troupes leur appartenant sur les hauteurs qui dominent, à l’est, le petit ruisseau qui coulait sur le flanc est de la cote 477. Ces deux officiers ne parviennent pas à déplacer leurs troupes. Le colonel Charton prend alors la solution désespérée d’essayer d’entraîner lui-même une partie des éléments qui encombrent la position et paralysent le commandement. Il fait venir le capitaine Labignette, adjudant-major (commandant en second) du III/3e REI et lui dit en résumé ceci : « Je vais essayer de déborder Ban Ca par l’est, votre bataillon étant le seul, à mon avis, encore capable de se battre. Continuez avec lui à fixer l’ennemi pour protéger les deux colonnes jusqu’à nouvel ordre de ma part ou ordre contraire du colonel Lepage. Je pense revenir, mais je n’en suis pas sûr. »
Il entraîne alors facilement derrière lui une partie du 8e RTM avec le commandant Arnaud et une harka de goumiers derrière le commandant Labataille. Il dit à son Poste de commandement (PC) radio de rester à la disposition du colonel Lepage qui n’a plus de radio. Il envoie un dernier message à la ZFNE avant de partir dans lequel il disait qu’on ne pouvait plus compter que sur le III/3e REI et que seule l’intervention urgente de l’aviation et de renforts pourrait sauver la situation.
La tentative de déborder l’ennemi par l’est semblait au colonel Charton désespérée, car il lui semblait improbable que les Vietminh ne tiennent pas solidement le terrain entre les calcaires de Coc Xa et la ligne de crête actuellement tenue par ses éléments. En effet, il était naturel de penser que le Vietminh interdirait le passage vers That Khé d’autant plus que toutes les tentatives de débordement par l’ouest avaient échoué.
Il n’en est pourtant rien : l’ennemi n’a pas encore eu le temps, ou l’idée, de boucler solidement le passage par l’est, faute énorme et incroyable de leur part que les hommes du III/3e REI n’ont pas su exploiter à fond, faute d’y avoir cru.
En effet, malgré les tirs de mortiers dirigés contre lui, le détachement du colonel Charton déborde facilement les pitons tenus par l’ennemi que leurs contre-attaques n’avaient pas pu reprendre.
Le colonel Charton s’aperçoit très vite qu’il ne pourra plus revenir en arrière et qu’il est obligé de continuer la progression. Les deux premiers kilomètres se font sans trop de difficultés. Toutefois, arrivé à hauteur de Na Koa, le colonel Charton qui marche en tête pour guider la colonne se heurte à une résistance. Il est immédiatement blessé en séton d’une balle dans le ventre (c’est-à-dire entrée sous la peau et ressortie sans pénétrer dans les muscles). À son avis, il aurait pu bousculer la résistance vietminh, si le détachement avait été constitué d’unités encore aptes au combat, ce qui n’était pas le cas. Le colonel Charton, après avoir tiré quelques rafales de pistolet mitrailleur, ainsi que trois ou quatre légionnaires qui l’accompagnaient, se retrouve seul, le gros du détachement ayant déjà reflué et appuyé à l’est. C’est ainsi qu’il est capturé.
Il était 18 h 30 environ.
Pendant ce temps, une partie du 8e RTM déborde par l’est la résistance vietminh et parvient à gagner That Khé, suivi par des goumiers de toutes unités, puis par une partie du 3e Tabor.
Au cours de l’action, les deux compagnies de Partisans de Chi Chan faussement annoncées comme dispersées, se sont repliées sur la cote 477 qu’elles trouvent occupée par l’ennemi. Le lieutenant Viltard qui commande ces deux compagnies, fait aussitôt attaquer la cote 477 et, passant victorieusement sur le dos des unités vietminhs, rejoint le gros de la colonne. Apprenant le départ du colonel Charton, il suit le 3e Tabor. Arrivé aux environs de la cote 608, tenue par les troupes amies de That Khé, l’ennemi l’attaque à son tour et finalement, disperse les deux compagnies tandis que le 3e Tabor atteint la position de repli organisée par le capitaine Labeaume. ♦
Publié le 07 octobre 2020
Claude Franc