« Il avait 29 ans. On lui avait appris à commander une compagnie de combat d’infanterie et il se retrouvait sans autre préparation seul responsable de la vie et peut-être de la survie d’une population de plusieurs dizaines de milliers d’habitants (…) quand tout le pays sombrait dans l’anarchie. Or, ce pays était le sien ».
Voilà, en quelques lignes, la situation à laquelle le capitaine de Beautrad se trouve confronté.
Le roman militaire, ou guerrier, est un genre particulier parce qu’il faut pour l’écrire non seulement avoir vécu au sein de l’Armée mais encore, et surtout, il faut l’aimer. C’est le cas de Baudouin Forjoucq, pseudonyme d’un officier général en 2e section. Il la connaît et il l’aime passionnément, comme la France, sa patrie.
Ses illustres devanciers des dernières décennies, les Sergent, Bonnecarrère, Bergot, Lartéguy, Gandy, pour ne citer qu’eux, situaient invariablement leurs romans dans le cadre troublé du dernier conflit mondial et des guerres d’Indochine et d’Algérie. Avec Le duc de l’apocalypse, et c’est là un tournant important dans le roman militaire, on quitte le passé pour entrer de plein pied dans le XXIe siècle. On quitte le passé, certes, mais on ne s’en coupe pas pour autant. L’expérience des « Grands Anciens » est très présente et notre jeune capitaine s’y réfère souvent, qui est, comme eux, animé de l’idéal du service de la France par les armes.
Beautrad est un jeune officier d’aujourd’hui. Il vient de prendre le commandement d’une compagnie isolée dans la forteresse de Saint-Romuald, chef-lieu d’un département français loin de la métropole, dans une région fictive d’Europe centrale, la Solvanie.
Au même moment, pour faire face aux troubles très graves que connaît la France (assassinats de hautes personnalités, grèves, émeutes, attentats, violences…), le gouvernement proclame l’état de siège. Notre capitaine va donc, par délégation de l’autorité militaire régionale, se trouver investi des pleins pouvoirs civils et militaires sur la zone de responsabilité de sa compagnie. Or, par le jeu de phénomènes magnétiques exceptionnels, tous les systèmes électroniques de la planète vont se trouver détruits : il n’y a plus désormais de liaisons téléphoniques ou radios possibles. Beautrad est seul et il va devoir gouverner, maintenir ou rétablir l’ordre.
Et là, le roman se double d’un véritable guide à l’usage du chef isolé en situation de responsabilité civilo-militaire. Que faire ? Comment faire ? Quand faire ? Où faire ?
On suit ce jeune officier dans ses tâtonnements, dans ses doutes, dans ses joies. On admire son solide bon sens, sa rigueur morale, sa foi profonde et son souci du Bien commun, tout ceci servi par une conscience et une compétence professionnelles hors pair.
Mais Beautrad ne travaille pas seul. Ses subordonnés font bloc derrière lui, son ancien chef est en retraite dans la garnison, le capitaine Torbediau, qui commande la Gendarmerie, est un ami précieux, le maire prend fait et cause pour lui contre des Comités de citoyens qui crient à la dictature militaire ; le curé lui apporte un soutien moral et spirituel de poids. Il va avoir à faire face à des bandes de pillards, à un étrange « seigneur de la guerre » contre lequel, après une belle opération militaire, il devra prononcer la peine de mort. On assiste à la remise en marche d’une vieille centrale hydro-électrique, à la reprise du commerce avec la création d’une monnaie locale. Beautrad fait renaître l’ordre et la vie reprend, grâce à lui à Saint-Romuald. Et puis, un jour, un avion passe… Des contacts vont se nouer avec d’autres îlots de résistance au milieu du chaos ambiant…
Il y a, bien sûr, une femme, Claire, mais aussi d’autres figures moins sympathiques : celles du traître, des rebelles et des « politiquement corrects »… Tous vont, jouer, chacun à sa place, un rôle essentiel.
On ne sait plus très bien où est la limite entre le roman et la réalité, tant on est pris par le récit, tant il « sonne vrai ». L’intrigue est rondement menée, pas de temps morts, des pensées profondes, du suspense, bref tous les ingrédients d’un bon livre, d’un grand livre.
Un vrai romancier militaire est né, digne successeur de ceux que nous avons cité, avec son style bien particulier qui mêle la réflexion et l’action, le réalisme et la fiction, l’humour et l’émotion et, avec un rare bonheur, entraîne le lecteur dans un monde où règnent les plus belles vertus militaires.
Son premier ouvrage, Vingt et une marches de marbre noir, où l’on voyait les débuts du jeune lieutenant de Beautrad dans la vie militaire, laissait bien augurer du tome 2. Avec Le duc de l’apocalypse, on est vraiment comblé.