Alors que se multiplient les ouvrages en anglais sur l’Arctique (j’en ai dénombré six en moins de trois ans) ceux rédigés en français apparaissent plus rares, en dehors de celui de Richard Labévière et François Thual, La bataille du Grand Nord a commencé, publié en 2008 chez Perrin. Aussi convient-il de saluer cette étude fort documentée de Viviane du Castel, familière de la région, qui avait consacré à la mer de Barents une étude parue en 2005 à l’Ifri.
Elle s’est rendue en Norvège en 2009, ce qui lui a permis de rencontrer la plupart des chercheurs, praticiens, fonctionnaires, militaires ou responsables des compagnies pétrolières et maritimes opérant dans la zone. Elle se réfère à un certain nombre d’articles ou de documents présentés par sa très riche palette d’interlocuteurs. Il en résulte ce qui constitue l’étude la plus complète et la plus récente sur cette mer de Barents, qui constitue une partie de l’Océan arctique. Cet ouvrage documenté manque malheureusement de cartes. Voilà pourquoi sa lecture doit être complétée par celle de la 2ème édition de l’Atlas géopolitique des espaces maritimes : Frontières, énergie, transports, piraterie, pêche et environnement de Didier Ortolland et Jean-Pierre Pirata et alli, paru aux éditions Technip (2010, 344 pages grand format).
La mer de Barents, espace maritime qui s’étend sur 1,4 million de km², délimité par la mer de Norvège, l’île de Svalbard-Spitzberg, sous souveraineté norvégienne depuis le Traité de Paris (1920), et les archipels François-Joseph et de Nouvelle-Zemble, de profondeur moyenne de 230 mètres. Depuis que la Russie et la Norvège se sont entendues pour mettre fin au contentieux maritime qui portait sur 176 000 km², élément qui n’a pas été pris en compte dans l’ouvrage, les perspectives d’exploration et de mise en valeur des ressources d’hydrocarbures de la mer de Barents sont appelées à se développer, sans compter les zones de pêches désormais mieux délimitées. Pour la Norvège, comme pour la Russie les enjeux sont de taille. La Norvège possède 1 % des réserves mondiales de pétrole et exporte 90 % de sa production, elle est le 8ème producteur de brut et le 3ème plus grand exportateur mondial de gaz. Or, écrit Viviane de Castel, son pic de production sera atteint en 2010. Même si une telle hypothèse doit être relativisée, il est certain que l’épuisement de ses champs traditionnels du grand Nord (Shnovit…) amènera sa compagnie nationale, Statoil, possédée à 67 % par l’État, à étendre ses activités dans son prolongement naturel vers le Grand Nord. Tout est donc lié, la Norvège étant la première source du gaz importé en France (juste avant la Russie) notre sécurité énergétique, comme celle de l’UE, passera par la mer de Barents et le Grand Nord. D’où l’importance pour Oslo de mettre en place un espace de coopération internationale. Viviane du Castel en décrit dans le détail tous les instruments : Coopération de la région de Barents (qui associe 13 régions norvégiennes, russes et finlandaises), Conseil Euro-Barents et Conseil arctique (la France bénéficiant du statut d’observateur au sein de ces derniers). D’où pour la Norvège l’importance qui s’attache à développer une politique vis-à-vis de son voisin russe, fondée sur les principes du bon voisinage, de la lutte contre la pêche illégale, d’exploiter le potentiel énergétique de la mer de Barents, d’en relever les défis liés à l’environnement et au climat, d’améliorer la qualité de vie des habitants du Grand Nord.
Le livre est centré essentiellement sur la politique norvégienne vis-à-vis du prolongement naturel de son espace maritime. Mais elle n’en néglige par pour autant de décrire la politique russe vis-à-vis de l’Arctique (Plan 2020), celle de l’UE, dont certains membres sont évidemment directement intéressés, comme le Danemark, ou indirectement, la Suède et la Finlande, sans parler du Groenland, et de l’Islande qui vient de poser sa candidature à l’UE. La position des États-Unis, et celle du Canada sont également analysées en ce qui concerne cette zone. Celle-ci révèle des enjeux croissants, voie maritime du Nord-Est, rétrécissement de la banquise, comme la course aux ressources d’hydrocarbures, comme l’atteste le projet de mise en valeur du champ gazier et de condensats de Chtokman, aux ressources gigantesques (3 800 milliards de m3) : c’est un des plus grands projets de l’industrie mondiale dans un environnement absolument nouveau posant d’énormes défis technologiques et humains où la société Total est impliquée à hauteur de 25 % aux côtés de Gazprom (51 %) et de Statoil (24 %).