L’allusion à Dantzig est accrocheuse mais en fait les situations ne sont guère comparables et il vaut mieux se référer au sous-titre (Les États-Unis et l’éclatement de la Yougoslavie). Le lecteur est en effet plus invité à arpenter jour après jour les couloirs du Congrès que les rues de la capitale bosniaque et à fréquenter Dole et McCain plus que Karadzic ou Izetbegovic.
Il est vrai que les parties en cause ont suscité, outre-Atlantique, l’apparition de « lobbies ethniques » parmi lesquels les Croates sont les plus nombreux et les mieux implantés. Les Serbes, fidèles à leur image, véhiculent « une tradition héroïque, un patriotisme intransigeant, un nationalisme agressif ». Peut-on dire qu’ils furent dans cette affaire les plus violents et les plus maladroits ? Le problème bosniaque est un grand souci pour le président Clinton, même s’il parvient in extremis « après quarante mois d’hésitation » à reprendre les rênes et à conclure élégamment à Dayton, et même si, selon l’auteur, les dispositions imaginées sur une lointaine base de l’Ohio sont loin d’assurer définitivement un avenir radieux dans la région. Les préoccupations de politique intérieure américaine ont dominé : les parlementaires tiennent les cordons de la bourse ; les journalistes s’en donnent à cœur joie ; les sondages affluent tandis que les maîtres du Pentagone sont peu soucieux de risquer la vie de soldats américains après les déboires vietnamiens et les horreurs somaliennes. En tout cas, les camps de concentration évoquant le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale et les massacres de Srebrenica rendaient la situation intenable et l’intervention extérieure indispensable. Notons en passant qu’il n’est guère question du rôle de la France : Chirac est rarement cité et le général Morillon tient peu de place.
Au-delà de Sarajevo, relevons l’évolution historique qui, après la fin de la guerre froide, a fait que les Balkans, longtemps siège d’une « succession de fractures religieuses et culturelles » (bien loin d’être apaisées), ont perdu désormais de leur importance stratégique et ont été en quelque sorte « rétrogradés » dans l’échelle des zones chaudes de la planète. Il y a cent ans, Sarajevo fut un moment le centre du monde et le point de départ d’une immense crise. Aujourd’hui, les points névralgiques se situent plus à l’Est et Maya Kandel en apporte elle-même la preuve en signant un article dans un numéro récent de notre revue consacré au « pivotement » vers l’Asie-Pacifique. De nouveaux Déat vont se demander s’il convient plutôt désormais de mourir pour Taipeh ou Pyongyang.