Ils ne vont tout de même pas jusqu’à publier à l’avance le lieu et l’heure de leurs futurs exploits, mais ils affichent leurs motivations, précisent les buts des attentats qu’ils s’apprêtent à commettre et désignent les catégories sociales, voire les individus, qui seront leurs cibles. Ce besoin de proclamer leur foi et leur haine, de justifier leur démarche, est exposé ici avec précision et compétence par deux experts ès terrorisme qui se posent en criminologues et non en moralistes.
On a souvent l’impression que le discours, aux yeux des adeptes de la violence vengeresse, est plus important que l’acte lui-même. Bien qu’il soit arrivé plus d’une fois que la rue d’Ulm ait apporté sa culture et son talent à l’entreprise, il y a de quoi être confondu devant cette logorrhée, cette avalanche d’anathèmes et d’invectives aux accents parfois naïfs, ce pathos meublé de « conscientisation » ou de « subjectivation » qui parsèment les très nombreuses citations présentées ici à longueur de page. Le ministre Marcellin est présenté comme un « émule d’Heydrich » et les partis de gauche traditionnels sont accusés de mollesse quand ce n’est pas de trahison.
Entre un exposé des manifestations des anciens et une ouverture fort mesurée sur les développements à attendre du remplacement du marxisme chez les « orphelins d’octobre » ou de la relève par l’islamisme (cité simplement pour mémoire ?), l’essentiel de l’ouvrage est consacré à l’« Euroterrorisme » pratiqué en particulier en France, Allemagne et Italie dans les années 1970-1980. Le fond est commun dans la référence à Mao et le culte du Che et il existe des épisodes de regroupement entre factions, mais les obédiences sont innombrables. Au lieu d’un mouvement structuré et permanent, on a affaire à une « nébuleuse » se réclamant de l’extrême-gauche ou de l’ultra-gauche, on va du « situationnisme » au « spontanéisme » et l’on s’y perd dans la « multitude des controverses sémantiques ».
Éclairée par la « date mythique » de mai 68 et quelques illusions vite dissipées en 1981, la France a connu une relative modération, mis à part l’activisme meurtrier de la petite équipe d’Action directe. On y a brandi à l’occasion des armes non chargées et on pourrait esquisser un sourire en constatant ce que sont devenus dans notre paysage politique et audiovisuel actuel certains des incendiaires de naguère. Bien que rencontrant peu d’écho auprès de l’authentique prolétariat allemand, la Rote Armee Fraktion a fait couler plus de sang outre-Rhin, avant de voir son image ternie par la révélation de ses liens avec la Stasi. Quant à notre sœur latine, elle s’est distinguée en la matière. L’échelle n’y était plus la même : de la dizaine de victimes ailleurs, on passait aux nombres à trois chiffres. Le vieux PCI de Togliatti étant considéré comme « passé à l’ennemi de classe », le mouvement fut sans doute plus proche qu’ailleurs des préoccupations populaires et des particularités nationales. Il s’y mêla une pincée d’extrême-droite et il rencontra une réaction particulièrement « vigoureuse et efficace » de l’État italien.
Il y eut, dans l’histoire des sociétés, un terrorisme d’État (qu’illustrent Robespierre et une bonne poignée de dirigeants du XXe siècle), des anarchistes (pas forcément terroristes), des guérillas campagnardes ou urbaines… C’est dire que le sujet n’est pas épuisé, mais ce livre, accompagné d’utiles annexes, permet d’y voir plus clair dans un domaine aux limites pas toujours évidentes, où l’on relève 702 définitions du terrorisme et où des intellectuels pétris de pédagogie entendent faire le bonheur du peuple quel qu’en soit le prix.