Des extraits d’un « journal » ouvert en août 1942 et d’une abondante correspondance, notamment avec son épouse Béatrice, fournissent autant de jalons pour une biographie détaillée d’un singulier personnage qui reste une figure dominante parmi les héros de la Seconde Guerre mondiale.
Après une enfance facile en milieu aristocratique, le passage par West Point (1904), les Jeux olympiques de Stockholm (en pentathlon moderne, 1912) et la traque de Pancho Villa (1915-1916), la participation à la réduction du fameux « Saillant de Saint-Mihiel » (1918) fournit l’occasion d’un premier contact avec les champs de bataille européens, d’une première expérience des blindés puis d’un avancement rapide à l’ombre de Pershing.
La suite appartient à l’Histoire : Torch, Palerme, la percée d’Avranches, Bastogne. George S. Patton prône l’offensive, il piétine, il est impatient et exigeant face aux grands chefs et aux états-majors. Il connaît fort bien Eisenhower et Marshall mais les trouve timorés et peut-être déjà préoccupés pour leur carrière politique future ! Pour lui, qui appartient à la race des baroudeurs, ce sont des administratifs, des logisticiens, des planificateurs, alors qu’il se sent du côté des Guderian et des Rommel, « rapides dans la décision et vigoureux dans l’exécution ». Un seul rival possible eût été MacArthur, mais le sort ne voulut pas de la rencontre de ces deux monstres sacrés. En attendant, on soigne les journalistes, on cisèle des portraits féroces et savoureux et on déteste Montgomery (« un petit péteux ! »).
La fin de la pièce est plutôt mélancolique, c’est le désenchantement, « les horreurs de la paix plus difficile que la guerre ». Cette situation amène chez Patton, chargé de la Bavière, des prises de position tranchées et parfois étonnantes. Ces Allemands qu’il a combattus sont en fait à ses yeux le peuple européen le plus solide, le plus authentique, à opposer à ces « Mongols » qui ne pensent qu’à se saouler ! La guerre froide est déjà en germe aux yeux d’un Patton qui procède mollement à la dénazification dans son secteur. Le destin a-t-il été au fond généreux et prévoyant en lui procurant un départ digne et édifiant ?
Quelle conclusion, quel jugement porter ? D’un côté certes des aspects volontairement grossiers, la fameuse « affaire des gifles » démesurément grossie, des bassesses (« J’espère que vous apprécierez la grande admiration que j’ai pour vous, ma profonde reconnaissance pour les bienfaits dont vous m’avez comblé » ; Lettre à Eisenhower, 27 décembre 1943), des affirmations odieuses (« débarquer sans combattre, j’en suis désolé. Les troupes ont besoin de sang ; en outre, ce serait meilleur pour ma carrière » ; Journal, 30 octobre 1942). En face, que d’élans généreux, un talent incomparable de meneur d’hommes. Invitons le lecteur hésitant à consulter au début de l’ouvrage l’excellent et court « prologue » qui fait fort bien le tour de la question en quelques phrases.