Si l’on devait définir la vie de Paul Émile Soubiran, on dirait que c’est un infatigable voyageur mais il faudrait aussi préciser que ses voyages ne sont pas toujours de simple agrément et lui sont souvent imposés par les circonstances créées involontairement par ses turpitudes.
Né le 20 novembre 1770 à Lectoure dans le Gers, issu d’un milieu bourgeois plutôt aisé, Soubiran a connu tous les régimes politiques de ces périodes troublées, de l’Ancien Régime au Second Empire, où tout semblait alors possible à celui qui ne manquait pas d’imagination. Et Paul Émile Soubiran n’en manquait pas, pour vivre de toutes les situations nouvelles qui se sont présentées, au besoin en utilisant toutes les ressources qu’un bon escroc peut faire apparaître. Mais il faut encore savoir à ne pas aller trop loin dans cet exercice, et bien souvent, il faut savoir se faire oublier. Et cet objectif est vite atteint en changeant de nom et de lieu. Paul Émile Soubiran devient donc un grand voyageur. Ainsi le verra-t-on successivement à Condom, Paris, Toulouse, puis en Italie, Espagne, Portugal, Allemagne, Hollande, Belgique, Danemark, Suède, Angleterre et aux États-Unis d’Amérique naissants. Dans ces lieux, Soubiran rencontrera des veuves argentées et y fera à l’occasion de riches mariages qui lui assureront une vie confortable et l’argent nécessaire pour se laisser aller au démon du jeu qui l’accaparera toute sa vie. Qui dit jeu, dit aussi dettes et la fuite sera son seul recours pour ne pas tomber aux mains de ses créanciers.
Il fera aussi de nombreuses rencontres avec des personnages qui ont marqué l’histoire de ce temps, à commencer par son compatriote Jean Lannes, Maréchal de France, né à Lectoure un an avant lui. Séducteur et menteur, il saura s’en faire des appuis jusqu’à ce que ces derniers, découvrant les fraudes de leur ami se retournent contre lui.
Tout naturellement, un tel carnet d’adresses est susceptible d’intéresser un pouvoir politique en proie à la suspicion générale et Paul Émile saura en profiter en tentant de monnayer ses services pour espionner au profit des plus offrants. Mais dans ce jeu de dupes généralisé et devant les affabulations contenues dans quelques-uns de ses écrits qu’il nous a laissés, on est bien en peine d’affirmer qu’il ait rendu des services au régime impérial, ou au profit des princes de la maison de France pour la reconquête du trône ou pour leur maintien après leur retour au pouvoir. Trahison des uns et des autres, tout aura été favorable à notre personnage pour parvenir finalement à terminer sa vie tranquillement à Lectoure, propriétaire rentier, mort dans son lit à 85 ans.
Paul Émile Soubiran aurait pu être un personnage d’Alexandre Dumas, tant est extraordinaire cette existence qu’une imagination débordante rendrait finalement peu crédible.
Écrit dans un style sobre, sur le mode d’un rapport de police, Raymond Nart, ancien directeur adjoint de la DST et responsable du contre-espionnage et de la lutte antiterroriste, nous livre un témoignage précieux de la vie de ces hommes qui ont traversé une période historique dangereuse mais aussi certainement enthousiasmante, rendant possible des vies d’aventure que l’Ancien Régime finissant ne pouvait permettre d’envisager.
Une lecture à recommander pour mieux connaître la période, trop souvent uniquement rapportée aux seuls faits d’armes des compagnons de Napoléon.