Avez-vous remarqué ? Dans les dîners en ville, les hommes ne tarissent pas sur les maux qui les accablent, les femmes ne parlent jamais des leurs. Nos compagnes, ici, nous en remontrent. C’est que la malédiction originelle les oblige à supporter d’un même cœur douleurs et joies de l’enfantement. Devant cet ascétisme qu’impose la nature à la moitié du genre humain, les hommes étaient en mauvaise position.
Ils s’en sont sortis en proclamant que les femmes étaient faibles, que la guerre ne leur convenait pas et que les horreurs et les honneurs qui lui sont propres étaient l’affaire des mâles. La vérité est que les hommes ont peur des femmes et qu’ils se sont efforcés, partout et en tout temps, de tenir en lisière leur ardeur redoutable. Ils y sont assez bien parvenus… jusqu’à maintenant. Michel Klen ignore cette prudence immémoriale et, disciple discret d’Élizabeth Badinter, dévoile ce que l’on ne voulait pas voir : libérez les femmes, d’anges elles deviennent diablesses, et l’auteur met son érudition au service de leurs diableries . Comme l’indique le titre, son livre est une somme, qui survole le temps et la géographie.
S’avance la cohorte des femmes de guerre, non toutes combattantes, mais toujours mêlées au combat. En tête marchent les amazones, diablesses mythiques, suivent les Françaises inflexibles, Geneviève à Paris, Jeanne à Orléans. Voici, dans la Grande Guerre, le retour des anges, consolatrices, vivandières, cantinières, infirmières, prostituées aussi. La Seconde Guerre mondiale les verra plus proches du feu, volontaires des FFL dès 1940, Rochambelles, Marinettes et Merlinettes, résistantes exemplaires comme Germaine Tillion, déportée à Ravensbrück et qu’on retrouvera dans les ombres de la bataille d’Alger, Marie-Madeleine Fourcade chef du réseau Alliance, Lucie Aubrac bien sûr et, en Allemagne même, les héroïnes de la Rose Blanche. De cette époque tragique, une toute jeune fille se fait mémorialiste : Anne Franck, morte à seize ans à Bergen-Belsen.
Si le premier métier du monde est réservé aux femmes, elles excellent aussi dans le second, où brillent les espionnes. Les deux ne sont pas incompatibles, comme l’a montré Marthe Richard. Mata Hari est le plus célèbre de ces soldats obscurs, et Dominique Prieur le plus récent. Avec la modernité, voici les « chevalières du ciel », Marie Casse-cou précurseur de l’aviation sanitaire, Hélène Boucher, Maryse Bastié, Jacqueline Auriol, toutes pilotes virtuoses, Valérie André, médecin, pilote d’hélicoptère et première « générale », Claudie Haigneré, spationaute et ministre. Les Soviétiques de la grande guerre patriotique restent pourtant les champions de la féminisation du ciel, et les nazis ceux de la diablerie : c’est une femme, Hanna Reitsch, qui organisa en Allemagne les unités aériennes de kamikazes. Nos petites guerres de décolonisation donnèrent encore aux femmes l’occasion de montrer ce dont elles sont capables. Ainsi en Indochine, PFAT et congaïs et, à Diên Biên Phu, deux femmes qu’un sort affreux a rapprochées, Geneviève de Galard et… la pauvre Marie Casse-croûte. Ainsi en Algérie, les combattantes de la pacification et les poseuses de bombe. L’auteur, auquel rien n’échappe, termine par les otages, citant Ingrid Betancourt et Florence Aubenas.
Michel Klen se réjouit de ce que les guerres modernes, jetant les femmes dans l’arène sanglante que les hommes s’étaient réservée, aient beaucoup contribué à l’évolution de leur condition. Il y voit « la force du progrès ». On peut se demander si la pasionaria de la guerre d’Espagne, Djamila Bouhired en Algérie, les 14 suicidées assassines dénombrées au Moyen-Orient, sont bien femmes de progrès. Le féminisme triomphe, la chose est sûre : les adolescentes de France ne viennent-elles pas de dépasser les garçons dans les statistiques de la délinquance dure ? Bah ! entre filles et garçons subsistera toujours une petite différence. Hurra pour la petite différence, disait un humoriste so british. Pourvu que ça dure !
NDLR : l’auteur n’a pas utilisé les termes « diablesse » et « diablerie » dans son ouvrage.