Parcours d’un bazar patriote parvenu à l’un des plus hauts postes de notre Armée de terre. L’auteur fit partie de la promotion « Union française » de Saint-Cyr. Trop jeunes pour avoir connu l’Indochine, qui leur sert de référence et leur inspire quelques regrets jaloux, les officiers de cette génération ont en revanche subi de plein fouet l’Algérie, la plupart du temps à un niveau présentant bien des dangers. Plus de quarante y sont tombés, morts pour la France, et tous ont été bouleversés par l’abandon final.
Clarke de Dromantin fait ses débuts de fantassin dans les tirailleurs marocains, ce qui est fort honorable et permet de dénoncer le laisser-aller chez d’autres comme chez ces artilleurs de Kasba-Tadla, partiellement réhabilités quelques pages plus loin. Mais l’essentiel pour lui, fasciné à juste titre par la « belle et rude » Légion, est de parvenir à y être affecté. Il ne sera pas déçu : dans le cadre sauvage du grand Sud, qu’il décrit avec talent, il trouve là le sérieux, le courage, l’efficacité, l’amitié virile qu’il s’attendait à y rencontrer. Personnellement, ce sont ces pages qui ont le plus retenu notre attention, avec peut-être celles consacrées au temps de chef de corps de ce cher 15-3 (Ndlr : le 153e Régiment d’infanterie).
Bien sûr, au fur et à mesure de l’avancement dans la carrière, notre homme rencontrera des responsabilités plus importantes et des sujets plus vastes et pratiquera l’analyse et la synthèse acquises à l’École de Guerre, mais après un quart de siècle, les mérites du « PMG », les chausse-trappes à préparer contre l’Armée rouge et le nombre de corps d’armée à constituer ont perdu beaucoup de leur actualité. Le suivi détaillé de l’évolution gouvernementale et militaire risque aujourd’hui à la fois de ne guère retenir l’attention du grand public et de ne rien révéler aux camarades et supérieurs de l’époque dont on peut penser qu’ils seront les premiers à se procurer cet ouvrage, ne fût-ce que pour y découvrir la place qui leur est accordée et éventuellement le jugement porté sur eux. Le tout risque donc d’alourdir, au propre et au figuré, cet imposant document. La galerie de portraits est riche. Parfois légèrement sarcastique pour les hommes politiques (par exemple à l’occasion d’un show à Valmy), elle est rarement méchante pour les responsables militaires, depuis la « légendaire impénétrabilité du Sphinx » jusqu’à la « rugosité » de l’un de ses successeurs. On ne cache pas ses sentiments. Traditionnel, classique ? Oui : on se marie sous la voûte d’acier, on « baise la soie du drapeau », on déteste le débraillé et on se réfère à la bannière des Suisses ; mais point trop : on se refuse d’être classé « parmi les attardés dangereux et les nostalgiques dépassés » et le BMC (Ndlr : Bordel militaire de campagne) est une honorable institution ! On regrettera tout de même au passage le jugement abrupt porté sur la conscription, consistant à généraliser des situations regrettables mais fortement minoritaires, en méconnaissance des réalités chiffrées.
Et l’épouse ? On en parle bien peu, sauf à lui dédier le livre. On imagine toutefois la place prise par elle le long de ces années et un certain partage du fardeau, sans compter les répétitions du quadrille des lanciers emprunté aux artilleurs voisins et dont l’exécution ne souffre pas la médiocrité.
L’auteur éprouva une déception finale ; sans doute, rançon du succès, avait-t-il pénétré dans une ambiance analogue à ce qui se dit de la Curie romaine ? Au total, il reste un témoignage sincère et complet sur ce que fut, plus que l’exercice d’un métier, le destin de la génération de cadres militaires servant le pays au cours de la seconde moitié du XXe siècle et la question de savoir à qui ce texte s’adresse exactement.