Avec cet ouvrage consacré aux relations passées et à venir entre les États-Unis et la Chine, Henri Paris énonce une hypothèse prospective portant sur l’inéluctabilité d’un conflit, dont les variantes plausibles se déclinent sur plusieurs scénarios, entre les deux puissances.
Il écrit : « Entre la Chine et les États-Unis, le conflit est inexpiable » (p. 399). Les deux superpuissances sont condamnées au duel que l’auteur présente « à fleurets mouchetés, puis démouchetés ». Henri Paris, au fil de ce long ouvrage solidement construit, fait appel à l’histoire et s’engage à la fois dans une narration prospective : chaque chapitre rappelle l’approche retenue qui s’apparente à une réflexion déductive. La page 315 qui introduit les informations consacrées aux forces navales chinoises témoigne, parmi d’autres, de cette manière de cheminer : « Pour jauger de la valeur opérationnelle des forces navales chinoises, valeur présente et future, il convient dans une première démarche, d’analyser même brièvement, leur potentiel, au début du XXIe siècle. Un second cheminement permet alors une extrapolation prenant en compte l’horizon de 2025, puis 2050 et au-delà, toutes choses étant égales par ailleurs ».
Le texte s’ouvre sur une introduction méthodologique et sur le questionnement repris dans les conclusions finales de l’auteur : « Jusqu’où peut aller désormais un duel sino-américain ? Entre deux colosses internationaux possédant la maîtrise de l’atome militaire, la confrontation pouvant aller jusqu’à un échange nucléaire est dans le domaine des hypothèses envisageables » (p. 21). D’autres pistes à explorer : un conflit nucléaire limité n’engageant pas la survie des protagonistes, ou encore un conflit avec affrontements par clients interposés, réédition de la guerre froide selon Henri Paris. Les premiers chapitres sont dédiés à l’oncle Sam, sa fragilité économique, sa politique extérieure en Asie-Pacifique, ses relations avec le couple Chine-Russie, pour en arriver au descriptif du nouvel appareil militaire américain dans la zone Asie-Pacifique.
La seconde partie du livre traite de la Chine, des éléments de sa puissance, de sa croissance, des extrêmes mutations démographiques dans les équilibres villes-campagnes, et des fragilités sociales préoccupantes de par leur étendue et leur violence : cette violence des jacqueries, en particulier, pousse les dirigeants chinois à mobiliser autour du nationalisme comme dérivatif : « Il vaut mieux avoir comme adversaire oncle Sam qu’un Jacques chinois. Vieille recette qu’un dérivatif extérieur à une crise interne » estime le général Paris (p. 188). Suivent des pages nourries concernant, la politique extérieure chinoise, incluant les liens habiles, quasiment fluides avec la Corée du Nord et l’Iran : « Les épisodes que sont la crise permanente iranienne et celle nord-coréenne à rebondissements, permettent à Pékin d’observer l’enlisement de leur plus grand adversaire, les États-Unis » (p. 247). L’étude des forces armées chinoises et du choix spatial prioritaire (p. 251 à 386) est passionnante : y est dévoilé le paradoxe d’une puissance dont le développement des forces armées a pris du retard en dépit de leur croissance, d’une puissance qui n’a pas de doctrine stratégique fondée sur une vision du monde, mais qui se lance dans le nucléaire, la cyberguerre et s’interroge sur les réponses ou les parades à mettre en place face à la prolifération balistique et à l’évolution des systèmes antimissile des Américains et de leurs alliés.
Le livre proposé par Henri Paris allie érudition historique et géopolitique, puissance de la réflexion prospective et volonté pédagogique. Avec ici, un risque non dépassé : celui de la répétition. En dépit de ce mini reproche émanant pourtant d’une universitaire, la lecture est aisée et tant les spécialistes que le grand public ont intérêt à se plonger en cette découverte de formidable mutation. Comment les Européens se positionnent-ils ?
NDLR : voir également dans la RDN de février 2014, l’analyse comparative du général Le Borgne « La guerre ou rien ? ».