Grand spécialiste de la guerre germano-russe de 1941-1945, Jean Lopez persiste et signe. Après Stalingrad, Koursk et le « chaudron » de Tcherkassy, et avant Berlin (dont nous avons rendu compte il y a quelques années), il livre ici un récit détaillé de la campagne d’été de 1944 centrée sur la Biélorussie.
Plus qu’une opération, « Bagration » (du nom d’un prince tsariste tué à la Moskowa, baptême témoignant de la référence à la Sainte Russie) couvre en fait une série de gigantesques coups de boutoir infligeant à l’Armée allemande des pertes comparables à celles qu’elle fit subir à ses adversaires en 1941.
Comme dans ses autres ouvrages, l’auteur procède à un récit détaillé des affrontements, appuyé sur de nombreux croquis où l’on retrouve « notre » Berezina, les Vitebsk, Moguilev ou Minsk… tant cités à l’époque dans les communiqués. On parle de la Vistule et on pense déjà à Königsberg. À la séparation des eaux entre Baltique et mer Noire, le terrain est particulièrement difficile, et ceci pour les deux adversaires. Ce sont les « infects » marais du Pripet, des forêts denses, la rareté des voies de communication. Bref, « des conditions abominables à travers un univers spongieux et barré d’innombrables cours d’eau ». Autant dire que la logistique crée des retards, voire des impossibilités, une situation peut être plus sensible du côté allemand que chez leurs adversaires, plus rustiques. « Pour la seule nourriture des 700 000 chevaux utilisés par les deux armées, il faut utiliser 10 % du parc de wagons ».
Les Allemands conservent leur « agilité tactique », des chefs de premier plan comme le maréchal Model et d’excellents blindés lourds : « À Daugavpils, 8 Tigre détruisent 27 Staline et 23 T-34 en peu de temps ». Ils se défendent pied à pied « avec le sens de la discipline et le professionnalisme qui les caractérisent ». En face, les Soviétiques bénéficiant d’une forte supériorité numérique, utilisent l’artillerie en masse (on cite des densités de 244 pièces au kilomètre) et redécouvrent le barrage roulant. Ils font effort sur le génie et bénéficient d’un appui aérien massif.
Précis et détaillés, les ordres viennent d’en haut, OKH et Stavka. Hitler fait appliquer la méthode des « Festen Plätze ». Il impose de s’accrocher au terrain ; les reculs doivent lui être « extorqués », privant les commandants d’armée de toute souplesse. Il tient à conserver l’alliance finlandaise, les minerais estoniens et les routes maritimes de la Baltique. Staline veut installer « ses » Polonais à Varsovie, quitte à laisser les insurgés à leur triste sort.
Cependant, un événement considérable s’est produit à l’Ouest : Overlord. Les Alliés contre l’Allemagne se regardent en chiens de faïence. Certains rêvent à Berlin de paix séparée. Lopez n’hésite pas à parler de « premier vrai combat de la guerre froide ».
On retrouve ici la précision, le souci du détail, les jugements et les portraits qui caractérisent chez l’auteur l’étude approfondie d’un conflit inexpiable. En couverture, la photo poignante du défilé des prisonniers allemands dans les rues de Moscou fait songer en même temps à la rapidité avec laquelle nos voisins ont retrouvé leur place dans le concert mondial.