C’est le premier ouvrage publié en langue française consacré aux réflexions sur les relations entre éthique et renseignement. Le Gerer (Groupe européen de recherches en éthique et renseignement) est issu d’une initiative conjointe des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan et de l’École royale militaire de Belgique.
Quatre nationalités s’associent dans ce groupe (Belgique, France, Luxembourg et Suisse) pour apporter un regard différent, celui du monde francophone, sur un sujet aujourd’hui dominé par les réflexions anglo-saxonnes. Cette initiative mérite soutien et encouragements !
Patrick Klaousen, docteur en droit public, enseigne à l’Université de Rennes et est, entre autres, associé au Centre de recherches des Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan ; il coordonne les activités du Gerer. Thierry Pichevin est diplômé de l’École polytechnique, titulaire d’un doctorat en science et d’un autre en éthique ; il est enseignant-chercheur aux Écoles de Saint-Cyr Coëtquidan. Ils rassemblent dans cet ouvrage les contributions d’une quinzaine de praticiens ou chercheurs qui se sont lancés dans cette discipline naissante : l’éthique du renseignement. La réflexion se veut en effet à la fois interdisciplinaire (philosophie morale, droit, science politique) et théorico-pratique.
« Le moindre mal nécessaire » se décline, dans ce recueil de textes, selon trois thématiques différentes mais complémentaires : « L’éthique dans le traitement de la source » (HUMINT ou renseignement humain) ; « La torture, ou le traitement de la source au mépris de l’éthique » ; « L’éthique et la gouvernance des services de renseignement ». Questions d’actualité mais aussi questions de toujours ! L’éthique s’impose au renseignement dès que le facteur humain intervient. « Selon les standards européens, exemplarité et efficacité constituent les deux points entre lesquels les professionnels du renseignement font sans cesse le grand écart. ». Il s’agit ici de questionner, sur le plan éthique, les activités d’un service de renseignement, ou plutôt les conduites individuelles ou collectives susceptibles de l’exposer à différents risques (médiatique, diplomatique…) ou pertes (matérielles, humaines…), « et plus généralement à l’insatisfaction de la tête de l’exécutif, qui est à la fois l’employeur des services et le principal destinataire du produit final du cycle du renseignement ».
Aux deux pôles exemplarité et efficacité, se superposent, dans le domaine du renseignement, les deux pôles éthique et juridique. Patrick Klaousen définit la conduite éthique « comme un savoir être dont le champ opératoire s’inscrit en surimpression de la norme juridique ». Le registre du juridique est celui de l’explicite alors que le registre de l’éthique est celui de l’implicite, « c’est-à-dire de ce qui va sans dire et concerne l’individu en tant que son humanité le met aux prises avec la complexité du réel infra ou extra-juridique ». L’ouvrage est explicitement destiné à un lectorat à la recherche d’une « éthique de responsabilité », et non d’une « éthique de conviction ». Ainsi, l’éthique de responsabilité « vise à graduer le caractère plus ou moins violent ou intrusif des méthodes utilisées » sachant qu’elles ne doivent pas sortir du cadre de la légalité, c’est-à-dire en « se bornant à exercer la “violence légale”– dite aussi “organisée” ou “légitime” – dont l’État se réserve le monopole. ».
L’éthique du renseignement s’insère dans une réflexion plus générale sur l’éthique des métiers liés à la défense et à la sécurité, dont l’« éthique du soldat » fait par exemple partie. L’éthique « est la matrice au sein de laquelle s’élabore un générateur de liens sociaux fort peu mis en valeur à notre époque : l’honneur ». L’honneur est en effet un ethos qui a toujours irrigué et continue d’irriguer les gens de guerre. Il est né des questions qui ont surgi naturellement du fait même des actions menées à la guerre : quels principes doivent régir les conduites et fonder les décisions lors des affrontements ? La morale est la recherche et l’étude des principes de l’action bonne et juste en général ; l’éthique est l’étude et la pratique du surgissement et de l’application de ces principes, et se situe donc en amont et en aval de la morale. Éthique et morale sont indissociables et sont pour cela communément confondues. Mais l’éthique se décline en autant d’éthiques particulières qu’il existe de champs de l’agir humain.
Cette réflexion sur l’éthique du renseignement répond donc à une nécessité, politique et morale, liée incontestablement au caractère démocratique de nos institutions et aux prétentions humanistes de nos sociétés. Elle s’adresse à tous ceux qu’intéressent ou que préoccupent les agissements des services, aux opérationnels et analystes, mais aussi aux civils et militaires qui contribuent à la collecte d’informations. Elle se destine également à essaimer dans les autres branches des métiers de la défense et de la sécurité qui ne se sont pas encore dotées, en propre, d’une discipline éthique.