L’ouvrage volumineux est divisé en 21 chapitres. Il éclaire les lecteurs sur les aspects peu connus (peu glorieux ?) de la construction européenne. Les auteurs présentent l’évolution de l’idée européenne et sa réalisation politique et institutionnelle « de manière rigoureuse » (Jacques Sapir). En effet, le travail de recherches historiques, qui est la base du livre, est considérable.
Les archives du Foreign Office, les documents de la Commission et autres actes bruxellois, les « mémoires » écrites par les politiciens et autres acteurs impliqués dans la construction européenne, la presse (en grande majorité anglaise et américaine).
Le livre présente l’évolution des idées à partir du début des années 1920 ainsi que les négociations entre les politiciens et autres hommes d’influence (Monnet, Spinelli, Ball, etc.) ; entre ceux qui ont eu à cœur les intérêts de leurs pays respectifs (de Gaulle, Adenauer...), ou ceux qui prenaient leurs hallucinations pour des « visions » ou qui croyaient qu’il faut « suivre ceux qui parlent le plus fort pour mieux cacher leurs intentions » (Prodi et autres poetae minores, p. 773). Les deux auteurs, dès le début du livre, analysent, fort heureusement Il Manifesto di Ventotene de Spinelli et Rossi. Ainsi, tous ceux qui n’ont pas lu Il Manifesto... peuvent comprendre à quel point ce document est dangereusement utopique, aussi bien par son contenu que par son arrière-pensée politique (p. 64).
Le travail de recherche mené par les auteurs nous apprend, entre autres, qu’en 1971 un mémo confidentiel du Foreign Office affirmait : « ...le peuple britannique ne se rendait pas compte de ce qui arrivait avant la fin du siècle… et ensuite il serait trop tard pour se révolter, car le processus serait irréversible » (p. 777). On apprend également que les ministres des pays membres signent des documents qu’ils n’ont pas lus et que les contenus desdits documents ont été connus par un nombre restreint de fonctionnaires. Le cas particulièrement intéressant est celui de la « Constitution » dont le texte a été incomplet et que les dirigeants des pays membres ont signé malgré tout.
Les trois courants idéologiques et politiques étaient sur la scène « européenne » : les fédéralistes/supranationalistes, les « intergouvernementalistes » et ceux qui préconisaient, à l’époque, la « Communauté ». Ces derniers ne sont que des marionnettes entre les mains des premiers. En réalité, soulignent les auteurs, toute la construction « européenne » a pour but de supprimer les États par tous les moyens. Les institutions européennes (Parlement, Conseils, Commission, Cour) poussent dans le sens de « supranationalité » ; en termes clairs : transformer les États en régions autonomes à souveraineté réduite (capitis diminutio). La Cour de Justice de l’UE, qui est à la fois un Tribunal de commerce, une Cour administrative, une Cour constitutionnelle, joue un rôle central dans la construction de supranationalité.
La méthode Monnet, « avancer masqué et par petits pas », est au cœur de la construction européenne. Le livre, sources à l’appui, montre comment procèdent les politiciens quand ils imposent leurs volontés aux populations mal informées et bien souvent intoxiquées par la propagande bien faite. Dans l’ouvrage, les dirigeants des pays membres (et surtout les politiciens anglais) ne semblent pas avoir l’idée claire des conséquences de leurs actes quand ils discutent les compromis (souvent compromissions) au cours de « Sommets ». Bien mieux, souvent ils ne disent pas aux « citoyens (?) » l’étendue des sacrifices (et des bénéfices) que le pays doit supporter après chaque accord conclu au « Sommet ».
Les auteurs citent de Gaulle (p. 120) qui a prévu la suite des événements en déclarant « …une armée sans État… un gouvernement sans État... ».
Le livre se termine par une comparaison que les auteurs font entre l’UE et les villes construites par l’architecte/communiste Le Corbusier : tout a été parfaitement logique et bien pensé pour le bien des « citoyens », mais les villes sont malgré tout des dortoirs où il ne fait pas bon y vivre...
Après la lecture du livre, nous savons comment on construisait « l’Europe », mais les « pourquoi » de tels agissements ne sont pas bien mis en évidence. L’étude de l’histoire de la construction européenne a un bel avenir…
La lecture de La grande dissimulation peut être complétée inter allia, par le livre de René Massigli, Une comédie des erreurs (1943-1956) - Souvenirs sur une étape de la construction européenne (Plon 1978). On sait que René Massigli fût l’ambassadeur à Londres entre 1943 et 1956. Il cite « Sirius » (Beuve-Méry) qui a écrit à propos du traité CED : « …né de l’équivoque, mûrit dans l’intrigue, le mensonge et la corruption… » (p. 454).
Également à consulter, l’article du professeur Jean-Claude Zarka : « L’accord de Bruxelles du 19 février 2016 sur le futur statut du Royaume-Uni dans l’UE », Petites Affiches, journaux judiciaires associés, 405e année, 17 mars 2016, n° 55.
On se demande, si derrière les étoiles qui décorent le drapeau de l’UE, ne se cache un « astre brillant qui fait ployer les nations » (Is. 14/12).