International Affairs est la revue anglaise bimensuelle de l’Institut royal des affaires internationales de Chatham House (Londres). Avec six numéros par an, cette publication propose, à chaque parution, neuf ou dix articles, des chroniques et des critiques de livres.
Trois articles de cette édition ont été sélectionnés pour être analysés : « Le président Obama à mi-mandat » de Stefan Halper ; « L’Opération libération de l’Irak : quelles sont les morales de l’histoire ? » de Nigel Biggar ; « La gestion collective des conflits : une nouvelle formule pour la paix globale et la coopération de sécurité ? » de Chester Crocker, Fen Osler Hampson et Pamela Aall.
« Le président Obama à mi-mandat » de Stefan Halper
Question fondamentale : qu’est-ce que Barack Obama a réalisé pour les affaires intérieures depuis son élection en 2008 ? Il a lancé un plan de relance économique de 787 milliards de dollars et élaboré un système de soins de santé universel s’élevant à 900 milliards de dollars. Il a également réformé le pouvoir des compagnies d’assurance en les réglementant et régulé les pratiques financières de Wall Street. Quelque 30 millions de dollars ont été consacrés aux programmes d’éducation et aux mesures pour conserver les postes des professeurs, des policiers, des infirmiers et des pompiers. Les chiffres montrent que les programmes d’Obama ont de bons résultats, surtout par rapport aux mauvaises conditions du pays au début de son mandat, mais il n’a pas la confiance du peuple américain. Obama a perdu sa popularité. On estime que sept Américains sur dix pensent que l’Amérique suit actuellement une mauvaise voie. « Obama a manqué de communiquer au peuple les acquis réalisés et les problèmes résolus, laissant sa politique être définie par ses nombreux adversaires ». L’auteur constate que, pour ne rien arranger, le public américain se préoccupe surtout d’événements de politique étrangère : la Corée du Nord, Israël, la marée noire de la plate-forme pétrolière Deepwater de BP, voire la polémique de la mosquée près du site du World Trade Center. Les adversaires d’Obama — nommément les groupes de droite, les partisans du Tea Party, la droite-chrétienne, etc. — saisissent l’occasion pour le discréditer (« Obama, le socialiste »). Cette tentative de déstabilisation reflète une stratégie du parti républicain pour l’élection de 2012. Toutefois, l’auteur pense que le pays va se relever pendant les deux dernières années du mandat d’Obama et que le peuple américain reconnaîtra le travail accompli par leur Président, le réélisant ainsi en 2012.
« L’Opération libération de l’Irak : quelles sont les morales de l’histoire ? » de Nigel Biggar
Les États-Unis ont fait trois erreurs pendant la guerre d’Irak. La première est une mauvaise interprétation d’éléments convaincants concernant la possession par l’Irak de l’arme nucléaire. Celle-ci, grâce à l’uranium enrichi, aurait pu être développée deux ans avant la guerre du Golfe. Ces soupçons étaient amplifiés par le refus de l’Irak de répondre aux demandes de l’ONU garantissant le désarmement (demandes exprimées jusqu’au dernier jour avant l’invasion en 2003), laissant ainsi supposer que Saddam Hussein cachait des armes de destruction massive. La deuxième erreur est la sous-estimation de Rumsfeld concernant la reconstruction de l’Irak après l’invasion. L’auteur précise que cette erreur est liée au romantisme rousseauiste selon laquelle la liberté politique se révèle automatiquement dès lors que la tyrannie est levée. La troisième erreur concerne la décision de Paul Bremer, chef de l’autorité provisoire de la coalition, de dissoudre l’armée irakienne et d’interdire le parti Baas dans le nouveau gouvernement (y compris les fonctionnaires de ce parti). Cette interdiction de participation au nouveau gouvernement a jeté dans la rue de jeunes soldats, la plupart étant toujours armés, sans travail.
L’auteur reconnaît la première erreur comme « justifiable » dans le contexte de la guerre, mais il trouve les deux autres impardonnables, car elles relèvent d’un manque de patience de la part de la politique américaine face à une société démoralisée par des décennies de tyrannie. Les défauts de la guerre sont ainsi mis en évidence. Toute intervention militaire implique une interprétation erronée des prisonniers et des civils décédés. Une comparaison entre la guerre en Irak et la Seconde Guerre mondiale est avancée : 70 000 civils français et 500 000 civils allemands sont morts à cause des bombardements alliés ; environ 150 000 civils irakiens sont morts, la majorité à cause des insurgés. La guerre contre Hitler, largement considérée comme juste, a impliqué beaucoup plus de dommages collatéraux que la guerre d’Irak.
Une bonne partie de l’article est consacrée à l’examen des problèmes philosophiques qui apparaissent en analysant la guerre d’Irak. Deux questions sont ainsi traitées : peut-on justifier l’intervention militaire avec la raison d’État ? Dans quelles circonstances peut-on violer la loi internationale ? Pour répondre à la première question, l’auteur déclare que l’intérêt personnel de l’État n’est pas immoral ; il existe, selon l’auteur, « un amour-propre moralement obligatoire ». Cela dit, on n’a pas le droit de poursuivre son intérêt personnel en ignorant les droits de l’homme ; au contraire, protéger son peuple, libérer d’autres peuples, assurer « la noble cause », tout cela fait partie de la raison d’État. Pour répondre à la deuxième question, l’auteur déclare que pour que la loi internationale fonctionne, il faut que tous la suivent, y compris les pays les plus riches, les plus développés, les plus puissants ; sinon, toute autorité sera compromise. Cela est vrai, mais ceci est aussi vrai : bien qu’un pays n’ait le droit d’intervenir militairement dans les affaires d’un autre État souverain seulement avec l’accord du Conseil de sécurité de l’ONU, l’autorisation du Conseil dépend largement des intérêts politiques de ses pays membres (par exemple, la Russie qui a opposé son veto à l’intervention au Kosovo en 1999). Comment est-ce qu’on réconcilie ce dilemme ? Faut-il suivre la loi internationale qui préconise de ne rien faire pendant qu’un dictateur commet un génocide contre son propre peuple ? Viole-t-on la loi internationale en intervenant ? L’auteur y répond : on doit éviter de violer la loi internationale, sauf quand nous sommes tenus moralement de le faire. L’auteur affirme donc que les conclusions de la guerre d’Irak ne devraient pas éclipser la morale de l’histoire du Kosovo.
« La gestion collective des conflits : une nouvelle formule pour la paix globale et la coopération de sécurité ? » de Chester Crocker, Fen Osler Hampson et Pamela Aall
Cet article traite de l’émergence de la gestion collective des conflits (collective conflict management). Qu’en est-il et dans quelle mesure cette gestion ne concernerait ni l’Otan ni l’ONU, les deux organisations principales de la gestion des conflits mondiaux ?
La gestion collective des conflits utilise des coalitions non officielles et un réseau d’acteurs politiques et du secteur privé afin de servir de médiateur dans les conflits internationaux. Lorsqu’on parle de la gestion collective des conflits les mots-clés sont au cas par cas, évolutionnaire et à structure ouverte. Prenons comme exemple le conflit entre l’Afghanistan et le Pakistan sur la Ligne Durand, qui marque la frontière entre les deux pays. Lorsque l’ancien président du Pakistan, Pervez Musharraf, a menacé de miner la frontière, le Canada, un partisan de l’interdiction des mines, a offert son aide en tant que médiateur. Depuis, le Canada assiste au Processus de Dubaï (où la première réunion a eu lieu) où des officiels afghans et pakistannais se retrouvent pour échanger leur point de vue sur les problèmes de douane, de trafic lié à la drogue et à l’immigration.
On trouve de tels exemples dans la piraterie autour de la Corne de l’Afrique, dans le processus de paix au Libéria et dans la coopération policière dans l’Europe du Sud-Est.
Que représentent donc l’ONU et l’Otan dans la gestion collective des conflits ? L’ONU est un exemple de « sécurité collective » très organisé et très institutionnalisé, sous la forme d’une coalition qui déclare qu’une attaque (intérieure) de l’un des membres contre un autre membre est une attaque contre tous. L’Otan est un exemple de « défense collective » également organisé et institutionnalisé, sous la forme d’une alliance qui déclare qu’une attaque (extérieure) contre l’un des membres est une attaque contre tous. Disons qu’aujourd’hui, dans la sécurité collective et dans la défense collective, il s’agit plutôt de tactiques d’antiterrorisme. Dans la gestion collective des conflits, il s’agit d’un éventail plus large d’efforts multilatéraux, tels que les maladies pandémiques, la piraterie, le trafic illicite et la dégradation de l’environnement. La gestion collective des conflits utilise la plupart du temps les moyens non-militaires, tels que la négociation et la médiation. L’ONU a été fondée après la Seconde Guerre mondiale et l’Otan pendant la guerre froide pour réagir aux conflits majeurs. La gestion collective des conflits est une manière de gérer les « micro-problèmes » du monde.
Les auteurs concluent l’article par une brève analyse des inconvénients de l’efficacité de la gestion collective des conflits : le manque de juridiction, de règles d’engagement et de communication. La « gestion collective » se démarque donc de la « sécurité collective » et de la « défense collective », car elle existe en dehors de la politique internationale.