Au premier abord, à feuilleter rapidement l’ouvrage, on peut ressentir l’impression d’être invité à visiter une sorte de musée Dupuytren peu ragoûtant et un coup d’œil sur la liste des autres productions de l’auteur ne peut que faire ressentir le côté iconoclaste et provocateur de celui qui se présente comme un « encyclopédiste du bizarre ».
Et pourtant, le lecteur qui aura sans doute apprécié l’excellent film « La chambre des officiers », trouvera ici une étude particulièrement sérieuse et complète du traitement des affreuses blessures de la face et de la tête subies pendant la Grande Guerre par ceux qui furent dénommés ensuite « baveux » ou surtout « gueules cassées ». Les particularités de la guerre de tranchées et l’omniprésence de l’artillerie ont fait que, contrairement à l’image des affrontements d’antan sabre au clair ou à celle des nids de mitrailleuses fauchant les vagues d’assaut, une grande majorité des pertes fut alors provoquée par les armes à tir courbe et les grenades en tous genres. Sur les quelque trois millions de blessés français, une forte proportion a été précisément, malgré l’adoption du casque, touchée à la tête et beaucoup ont subi de ce fait des séquelles graves.
Les blessures en question, spectaculaires, sont « rarement mortelles » sur le coup, mais les plaies sont sales et vite infectées par la boue, les fragments de tissu, de bois ou de métal et… par les poils (les poilus !), car le port de la moustache (voire de la barbe) est fréquent. Les premiers soins pratiqués dans les ambulances et les hôpitaux de l’avant sont forcément rudimentaires et un délai de plusieurs jours s’écoule fréquemment avant la prise en main, à l’arrière, par des structures spécialisées. C’est ici qu’interviennent de remarquables équipes pluridisciplinaires, notamment au fameux « V Blessés » du Val-de-Grâce dominé par la grande figure du docteur Morestin. On assiste alors à l’« aventure de la chirurgie maxillo-faciale ». Dans cette discipline pratiquement nouvelle, l’imagination est au pouvoir et va jusqu’au bricolage, par exemple l’utilisation d’un électro-aimant pour extraire les corps étrangers métalliques. Face au hasard du parcours des projectiles vulnérants, mille problèmes surgissent en matière d’anesthésie, de greffes, de prothèses… sous le regard des infirmières dont le soutien moral est précieux et qui sont considérées comme des « secondes mères » par ces jeunes hommes encore si près de l’adolescence. Devenus « artistes sculpteurs », les chirurgiens s’attachent à réparer au mieux les dégâts et à aider le blessé à « dissimuler l’horreur de son délabrement, non seulement aux autres, mais à lui-même ». Ils parviennent souvent à de surprenantes « reconstructions » qui apparaissent sur les nombreuses planches photographiques comparatives (avant et après traitement) provenant pour l’essentiel du musée du Service de santé des armées. Mais il existe aussi des échecs, accompagnés de profonds traumatismes psychologiques et le récit de certains fait venir les larmes aux yeux.
Au cours d’une « resocialisation » difficile, ces « presque morts pour la France » ont su réagir. On connaît la présence d’une délégation à Versailles à l’invitation de Clemenceau, la création de l’UBFT en 1921, le succès des dixièmes de la loterie nationale… Les Gueules Cassées de 14-18 ne sont plus, mais regarder leur visage, ou ce qu’il en restait, inspire à la fois compassion et répulsion, un message de souvenir et de respect.