Joseph Kessel appartient à une espèce rare, les écrivains dont la vie elle-même est un roman. Comme son contemporain américain Ernest Hemingway (1899-1961), il aurait pu être son propre personnage dans un film de l’Hollywood des années 1950. Viril, impulsif, courageux, buveur, séducteur invétéré, mais surtout l’archétype des héros n’ayant peur de rien. Tel un Indiana Jones, son parcours est celui de l’Europe déchirée, depuis l’attentat de Sarajevo du 28 juin 1914 jusqu’à la guerre froide.
Exilé depuis son enfance, apatride, Français combattant, mais surtout avide de sa propre liberté. Son œuvre littéraire – jugée parfois trop abondante par les critiques germanopratins – est traversée de ses multiples voyages, aventures et rencontres, courant d’une guerre à l’autre, d’un désert à l’océan, regardant la violence des hommes. Mais c’est aussi un homme de séduction, aux nombreuses histoires amoureuses s’entremêlant, quitte à faire souffrir les belles qui l’entourèrent.
C’est l’objet de ce livre qui retrace la relation qu’il eût avec Germaine Sablon (1899-1985), non seulement célèbre chanteuse et actrice de l’entre-deux-guerres, mais qui fut une Résistante combattante et aguerrie. Une relation d’une dizaine d’années de 1935 à 1945, commençant dans un premier temps par l’insouciance puis marquée par leur double engagement durant la Seconde Guerre mondiale contre l’Allemagne nazie. Ce parcours relaté ici montre comment des artistes comme Germaine Sablon (ou Jean Gabin pour le cinéma) ont su refuser la débâcle de 1940, même s’ils ont été rares dans le milieu culturel parisien, d’autres plongeant dans la Collaboration comme Arletty ou l’écrivain Céline, ou s’abstenant de choisir un camp comme Charles Trenet.
Les deux amants, avec des périodes de séparation imposées par les événements, n’ont jamais cédé. La chanteuse s’était déjà engagée au printemps 1940 comme ambulancière militaire, elle le refera au printemps 1943 en réintégrant son unité en Afrique du Nord, l’Ambulance Hadfield-Spears, puis en participant sur le terrain à la campagne d’Italie, au débarquement de Provence jusqu’à l’Allemagne. D’où ses décorations comprenant la Légion d’Honneur reçue aux Invalides en 1962, la Croix de guerre 1939-1945 et la médaille de la Résistance.
Joseph Kessel, à l’issue de la guerre, délaisse Germaine et poursuit sa carrière de grand reporter, avec une production littéraire fleuve, mais aussi avec ses excès en tout genre et qui pourtant lui permirent de devenir immortel en novembre 1962, l’Académie française ouvrant ainsi ses portes à ce fils d’immigrés russes juifs. Il meurt en 1979 à l’âge de 81 ans après une vie bien remplie.
Mais pour en revenir à la guerre, à Londres le 30 mai 1943, Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon (1918-2009), écrivirent les paroles du Chant des Partisans, sur une musique adaptée par Anna Marly (1917-2006), d’après une mélodie russe, elle-même étant d’origine russe. Germaine Sablon l’enregistre dès le lendemain et celui-ci est devenu l’hymne officieux de la Résistance, au point que son manuscrit est classé Monument historique et est conservé au musée de la Légion d’Honneur.
Entremêlant la Grande Histoire avec ses drames et la passion de l’amour, ces deux personnages, hauts en couleur, retracent une certaine France qui dans l’adversité sut relever la tête pour défendre la liberté, tandis que d’autres cédèrent à la lâcheté de la défaite.