Inspecteur général de l’agriculture, Hervé Lejeune, coordinateur de cet ouvrage, a conduit de nombreuses missions en Afrique. Il a dirigé une organisation professionnelle agricole, participé au cabinet de Philippe Vasseur au ministère de l’Agriculture, conseillé Jacques Chirac à la présidence de la République et dirigé le cabinet du directeur général de la FAO. Aujourd’hui, administrateur de FARM (Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde) et de la Fondation Avril, il est professeur à l’Institut de droit rural et d’économie agricole. Dans ce livre, il réunit une série d’articles très précis, clairs et documentés, qui nous permettent de mieux comprendre ce continent si proche de nous, Français et Européen. Ce continent que nous croyons connaître, mais qui est beaucoup plus divers qu’on ne l’imagine et qui évolue surtout très vite.
Chacun s’est posé cette question : pourquoi ce continent, trois fois plus grand que les États-Unis, large de 7 500 kilomètres d’est en ouest et long de 8 000 kilomètres du nord au sud, accumule-t-il un tel retard de développement ? Bien sûr, la géographie a imposé ses contraintes, notamment en infrastructures, en recherches et en transfert de technologies. C’est vrai particulièrement pour le développement agricole dont les fondements ne peuvent être les mêmes sur tout le continent. Ce dernier devant faire face à une diversité de climats et de sols qui justifient des pratiques agronomiques et des processus de développement différents. Mais il est possible que les innovations techniques puissent réduire ces contraintes comme cela a été le cas avec le développement de la téléphonie mobile au lieu de la téléphonie filaire.
Ce qui est sûr c’est que l’Afrique va connaître, au cours des prochaines décennies, une explosion démographique. Sa population pourrait atteindre 40 % de la population mondiale en 2100 selon les prévisions de l’ONU. Cette dynamique démographique interroge sur le développement du continent et n’est pas sans conséquences pour la francophonie et les religions. La moitié de la croissance de la population mondiale sera concentrée dans neuf pays dont cinq en Afrique : Inde, Nigeria, République démocratique du Congo, Pakistan, Éthiopie, Tanzanie, États-Unis, Ouganda et Indonésie. On le voit, seule la RDC est francophone. De fait, son avenir et sa stabilité nous concernent.
Les migrations, très intenses entre l’Europe, le Sud de la Méditerranée et l’Afrique en général, prennent des formes très diverses, parfois catastrophiques, mais perdureront car l’Europe continuera de s’enrichir et son déficit en main-d’œuvre se creusera inexorablement.
Au Sud, le changement climatique, le déclassement des campagnes, la croissance démographique, les politiques inadéquates, les conflits, les pertes agricoles, la faim…, ne font qu’ajouter à la pression à venir.
Au service d’un destin évidemment commun, une nouvelle approche des politiques migratoires est nécessaire afin de contribuer plus fortement au développement des régions aujourd’hui exportatrices d’hommes et de femmes. Nous en sommes bien convaincus. Encore faut-il que ces politiques soient claires, durables et acceptées par tous les intéressés ; ce qui relève encore de la quadrature du cercle.
Pour l’avenir de l’Afrique, une attention particulière doit être portée aux femmes qui tiennent une place déterminante dans la lutte contre la faim, la malnutrition et la pauvreté. En septembre 2018, dans un rapport commun « Ne laisser personne de côté », la FAO et l’Union africaine (UA) ont souhaité promouvoir l’autonomisation des femmes rurales africaines pour relever le défi « faim zéro et assurer une prospérité partagée ».
Malheureusement la croissance économique de l’Afrique – que tout le monde souhaite et attend – est freinée par l’insuffisance de ses infrastructures. Les mettre à niveau nécessite de pouvoir mobiliser 93 milliards de dollars par an. L’approche régionale et la mobilisation de tous les instruments financiers sont une réponse possible. Cependant les limites apparaissent : la croissance du continent a entraîné une nette accélération de l’endettement public entre 2005 et 2015, estimé à 550 milliards de dollars.
La baisse des cours de matières premières freine désormais la capacité des États à assurer le financement des grands projets d’infrastructures. Entre la pression démographique, le retard à rattraper, les fortes disparités et les ressources inexploitées, l’Afrique fait face à une équation difficile pour répondre à ses besoins énergétiques. D’un autre côté, l’Afrique regroupe des réalités géographiques, culturelles et agronomiques bien différentes. Ces dernières constituent son potentiel agricole, au cœur de nombreux enjeux.
Un enjeu social d’abord, car plus de 50 % des Africains vivent en milieu rural et l’agriculture représente 60 % des emplois, souvent mal ou pas rémunérés.
Un enjeu de développement aussi car l’agriculture, qui occupe tant de bras, ne représente que 20 % du PIB du continent et affiche des performances en moyenne très faibles avec des rendements trois fois inférieurs au reste du monde.
Un enjeu de sécurité alimentaire enfin, car l’Afrique subsaharienne demeure la région où la prévalence de l’insécurité alimentaire grave atteint pas moins du quart de sa population. Cela représente pratiquement quatre fois plus que les niveaux observés dans n’importe quelle autre région du monde.
L’Afrique est aussi la seule région où le nombre d’enfants souffrant d’un retard de croissance a progressé ces dernières années. La moitié de cette hausse est attribuable à l’Afrique de l’Ouest.
Concernant la sécurité alimentaire, la situation a empiré, notamment dans certaines régions de l’Afrique subsaharienne, de l’Asie du Sud-Est et de l’Asie de l’Ouest. Cette dégradation a été observée plus particulièrement dans les contextes de conflits, associés à des sécheresses ou des inondations. À cet égard, le changement climatique aura une incidence sur la sécurité alimentaire de nombreux pays. Aussi convient-il de mieux articuler les politiques de lutte contre le changement climatique et de développement de l’agriculture et du commerce.
Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) connaissent un essor au service de l’agriculture africaine. Elles peuvent contribuer réellement à son développement. Toutefois, le modèle économique qui guide leur développement sera déterminant quant à leur utilité et à leur durabilité.
Cette dynamique nourrit de grands espoirs quant aux possibilités d’améliorer la productivité agricole et de lever ou contourner les obstacles qui freinent le développement agricole dans de nombreux pays pauvres, notamment en Afrique. Le premier exemple est l’adoption, à grande échelle, de la téléphonie mobile par les populations africaines dont l’immense majorité ne seront jamais passées par le téléphone filaire. Dans un contexte inquiétant de pauvreté des systèmes de santé, l’Afrique doit aussi faire face à des défis sanitaires importants.
Sans apporter des solutions à tous les problèmes, l’essor des NTIC peut contribuer à relever ces défis. En Afrique, le système de santé ne fonctionne qu’à la moitié de sa pleine capacité au moment où le continent est toujours confronté à Ebola, au choléra, à un nombre inquiétant de cas de diabète ou de cancers et vient d’être frappé avec retard par la Covid-19...
Pour une aide au développement utile et efficace, la lutte contre la corruption et des interventions mieux ciblées de l’aide au développement sont indispensables. Aujourd’hui, dans de trop nombreux pays, la corruption et l’évasion fiscale empêchent un développement équilibré qui profite à tous. Les taux de croissance ne traduisent pas un réel processus de développement tant une grande partie des populations concernées sont écartées des fruits de la croissance.
Lutter contre la corruption et adapter l’aide publique au développement (APD) à ces enjeux est devenu primordial. L’Afrique est aussi – on le sait bien – une terre de conflits, aux origines diverses et complexes. Réduisant de 15 % les capacités économiques du continent – selon les estimations –, les conflits freinent sévèrement et durablement son développement.
Le XXIe siècle avait bien commencé pour l’Afrique. Après les massacres des guerres sierra-léonaises et libériennes, après le génocide rwandais et la guerre sans fin du Congo Kinshasa, le début des années 2000 semblait marquer pour l’Afrique, un nouveau départ. Partout la démocratie avec pour corollaire le développement, avançait. Puis on a connu la guerre civile ivoirienne à partir de 2010, la partition du Soudan, une succession de coups d’État militaires, le développement des mouvements islamistes… « L’état de guerre est-il devenu une seconde nature des Africains ? ».
Sur ce, l’Afrique de l’Ouest est devenue une nouvelle route de transit et de redistribution des drogues, apparue à l’orée du XXIe siècle. Caractérisée par des pays aux structures étatiques fragiles, voire déliquescentes, elle est rapidement devenue une opportunité pour les narcotrafiquants confrontés à des difficultés d’acheminement croissantes sur la voie Antilles-Europe. Cette problématique concerne une zone composée de 18 États allant de la Mauritanie jusqu’au Gabon et touche principalement les pays du golfe de Guinée (Côte d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin, Nigéria, Cameroun) ainsi que ceux de la façade atlantique (Cap-Vert, Sénégal, Gambie, Guinée-Bissau, Guinée, Sierra Leone et Libéria). Mais cette région n’est que la partie émergée de l’iceberg. Certains pays enclavés de l’Afrique subsaharienne (Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) sont également touchés par le narcotrafic. Cette mutation de la région en « zone rebond » est avérée, aussi bien par les saisies effectuées en mer, que les arrestations de passeurs sur les vols commerciaux en direction du « vieux continent ».
C’est sur ce fond que la Chine a accéléré son implantation ce dernier quart de siècle. Au-delà des infrastructures dont elle revendique la moitié des chantiers depuis dix ans, elle s’engage aussi dans des projets plus ciblés tel l’agroalimentaire. Pékin a été le premier investisseur en valeur en 2016 avec près de 31 milliards d’euros soit dix fois plus que les États-Unis - même si ces derniers y ont lancé plus de projets : 91 contre 66.
Cette présence chinoise en Afrique s’inscrit dans le projet des « Nouvelles routes de la soie » ou OBOR (One Belt, One Road) qui, pour les dirigeants chinois, est surtout une vision politique proposée aux pays en développement. Le ré-endettement rapide de certains pays africains est porteur de risques importants à moyen terme. Les « créanciers émergents », en particulier la Chine, alimentent ce nouvel endettement qui ne s’accompagne pas d’une amélioration des politiques publiques, ce dont de nombreux dirigeants africains s’accommodent bien. Les annulations de dettes des années 2000 par le « Club de Paris » ont réduit de manière importante l’endettement des pays d’Afrique subsaharienne.
Mais alors, pourquoi la question du niveau d’endettement de l’Afrique revient-elle à l’ordre du jour ? La Chine prête de plus en plus pendant que les créanciers traditionnels tentent de désendetter l’Afrique. Pendant que les créanciers traditionnels (« Club de Paris ») annulaient une bonne partie de la dette africaine, les créanciers émergents, au premier rang desquels la Chine, mènent le bal en augmentant substantiellement leurs financements octroyés aux pays africains. En 2005, les créanciers émergents détenaient moins de 25 % de la dette extérieure officielle bilatérale dans les pays d’Afrique subsaharienne, contre plus de 75 % pour le Club de Paris. En 2015 les proportions se sont inversées.
Doit-on suivre les auteurs qui constatent qu’en dépit d’une proximité géographique qui oblige, l’Europe n’a pas su créer avec l’Afrique un partenariat apaisé. L’aide publique au développement, pourtant significative, n’y a pas non plus contribué.
Les questions migratoires et sécuritaires abîment le nécessaire débat pour le renouvellement de ce partenariat. Ce dernier nécessite une ambition politique inouïe au moment où d’autres grandes puissances, moins exposées géographiquement, viennent y défendre leurs intérêts économiques. Le voisinage euro-africain s’inscrit dans un partenariat économique ancien de plus de cinquante ans qui n’a pas produit les effets attendus.
Dans une perspective de régionalisation de l’économie mondiale autour de centres et de périphéries, ce voisinage devrait permettre une meilleure insertion de l’Afrique dans les chaînes de valeur internationale. L’Europe peut y contribuer, mais la relation actuelle entre elle et l’Afrique le permettra-t-elle ? Des défis communs liés au voisinage, mais des relations toujours asymétriques.
Au-delà de proximités géographiques, historiques et culturelles souvent invoquées, dont il conviendrait de faire un état des lieux réaliste, l’Europe et l’Afrique sont pour l’avenir davantage unies par des défis communs démographiques, énergétiques et sécuritaires. L’Europe vieillissante pourrait, d’ici quelques décennies, voir sa population baisser tandis que la population africaine croît rapidement avec une jeunesse attirée par la migration. Mais la population européenne l’entend-elle ainsi ? On sait bien que non. L’Europe a bien sûr besoin d’énergie (hydrocarbures, charbon, uranium) en provenance d’Afrique. Mais, le djihadisme effraie l’Europe qui a besoin de routes maritimes sécurisées et d’un climat des affaires apaisé pour investir et commercer.
La France est, de ce fait, peut-être l’unique pays européen qui reste attaché et impliqué en Afrique sur tous les plans. En 2016, l’Afrique subsaharienne représentait 2,5 % des exportations françaises et 1,5 % des importations, soit respectivement 11,2 et 7,6 milliards d’euros. L’importance du commerce français avec les autres pays de l’Union européenne et les États-Unis masque le niveau des échanges avec l’Afrique qui vient pourtant, en ce qui concerne les exportations, avant la Chine (25,5 milliards d’euros pour l’Afrique en 2017 contre 18,8 milliards d’euros pour la Chine). Globalement, les parts de marché de la France en Afrique subsaharienne ne sont pas négligeables : 4 % en 2016. La France reste implantée sur ses marchés traditionnels qui sont principalement en Afrique francophone où ses parts de marché atteignent 13,7 % en 2016.
La France exporte majoritairement des biens industriels, des produits agroalimentaires et des produits pharmaceutiques tandis qu’elle importe essentiellement des hydrocarbures, des minerais et des produits agricoles. La structure d’échange évolue peu et illustre la faiblesse du tissu industriel africain avec une faible production de produits manufacturés. L’Afrique est aussi commercialement importante pour la France en raison d’un solde du commerce extérieur structurellement excédentaire (5 milliards d’euros en 2016). En dehors de ses marchés historiques, la France est peu présente sur les marchés d’Afrique de l’Est (Kenya, Soudan, Éthiopie) et d’Afrique australe (Afrique du Sud et Angola) qui ont été des pôles de croissance et qui font désormais partie des principales économies africaines, même s’ils ne sont pas à l’abri de difficultés.
Au Sahel, la pression des mouvements islamistes radicaux et les conflits qui en résultent sur le terrain font courir de grands risques à la région en matière de sécurité alimentaire et de mouvements de populations qui amplifient d’autant plus ces conflits. L’opération Barkhane en est l’élément principal sur le plan militaire, en collaboration avec le G5 Sahel. Mais, en même temps, il est aussi indispensable de préserver sur ces territoires des activités économiques de base. Le pastoralisme est la principale activité avec de forts enjeux économiques et sociaux. Assurer son maintien doit être une priorité. C’est pourquoi les acteurs du développement se sont engagés dans ce sens depuis quelques années, mais leur engagement reste encore bien en deçà des besoins.
L’Afrique a connu des conflits violents au cours des dernières décennies. Dans de nombreux pays, et ce après les indépendances, des régimes politiques autoritaires, dictatoriaux ou encore répressifs se sont succédé et ont provoqué révoltes et rebellions au point d’y développer fréquemment des cultures de la violence. On a, en général, surévalué la dimension religieuse des conflits où les contestataires – à l’encontre de ceux qui détiennent le pouvoir – sont souvent issus des mêmes régions et religions. Après les « Trente Piteuses » on attendait l’arrivée des « Trente Glorieuses », l’Afrique veut simplement ne pas rester en marge des vastes mutations en cours dans le monde. ♦