À l’heure où la place des femmes dans la politique russe est inférieure à celle qu’elle fut durant la période soviétique, il est intéressant de se plonger sur la place exceptionnelle de Catherine II. Emprunte de l’esprit des Lumières, cette souveraine avait acheté la bibliothèque de Voltaire, accueilli quelques mois Diderot et écrit, en français, une histoire de la Russie.
L’empire des tsars fut gouverné par de nombreuses femmes, épouses influentes de tsars, régentes et impératrices. Toutefois, aucune personnalité féminine n’eut autant de poids sur l’évolution politique et culturelle de cet empire. Elle se démarqua par son intelligence, son audace, sa rigueur, son application, sa résolution, son courage et son « esprit viril » qui associaient une grande fermeté envers ses interlocuteurs et un vif intérêt pour la sécurité et la défense de sa patrie adoptive.
L’ouvrage de Francine-Dominique Liechtenhan avait déjà dressé une belle biographie de Pierre le Grand dans laquelle il traite en priorité des relations internationales mais aussi de l’impératrice.
Catherine prouva la capacité des femmes à gouverner, même dans une société patriarcale et plutôt hostile aux étrangères. Le titre du présent ouvrage, Catherine II - Le courage triomphant, s’inspire d’une phrase de la souveraine qui résume bien sa personnalité : « C’est dans les grands périls que les grands courages triomphent ». Monarque éclairée, elle se démarqua sur le trône russe par son implication active accompagnée de succès et d’échecs, et par son opiniâtreté à moderniser son immense empire multi-ethnique.
Catherine II fut la dernière impératrice régnante de Russie. Son fils, le faible Paul, s’empressa d’introduire la « primogéniture » pour empêcher le développement de la « gynécocratie » qui avait marqué le XVIIIe siècle. Cette souveraine fut sans doute l’une des figures politiques les plus marquantes de l’époque moderne. Sa grande soif d’action, son sens sûr du pouvoir, ses intérêts intellectuels très divers, les chapitres sombres de sa vie et de son œuvre, ont donné à l’« autocrate de toutes les Russies » un écho impressionnant dans l’historiographie et dans la fiction historique. Catherine laissa d’elle-même un portrait complexe et éblouissant, mais l’image que la postérité créa d’elle et de ses actions se révèle non moins plurivalente et contradictoire.
L’évaluation de l’œuvre de Catherine a fluctué selon les époques. Les historiens « libéraux » des XIXe et XXe siècles la fustigèrent pour avoir trahi l’esprit des Lumières. Ils accusèrent l’impératrice, trop imbue des principes de l’autocratie, d’hypocrisie, parce qu’elle n’était pas intervenue pour améliorer le sort des paysans. Ce n’est qu’un siècle plus tard que les serfs furent libérés par Alexandre II, assassiné en 1881.
Certains monarchistes du début du XIXe siècle glorifièrent son époque, car elle avait hissé la Russie parmi les premières puissances économiques et diplomatiques mondiales, et assuré la sécurité de l’Empire grâce à ses victoires et l’élargissement de ses frontières. Rappelons que c’est sous son règne que la Crimée fut incorporée à l’empire en 1783. À l’époque soviétique, les historiens marxistes insistèrent sur la victoire de la noblesse et résumèrent ce règne à un sommet de l’exploitation et de l’oppression du serf, ou plutôt du peuple. Sa mort signe aussi la fin d’une époque marquée par soixante-dix ans presque ininterrompus de règnes féminins, conjoncture exceptionnelle en Europe et dans le monde à l’époque moderne, sinon plus. ♦