Grâce à la gestion habile de ses ressources financières, issues de sa manne pétrolière, sa position stratégique à la pointe de la péninsule Arabique, et l’intelligence et la stratégie de son dirigeant, le prince héritier Mohamed ben Zayed Al Nahyane (MBZ), les Émirats arabes unis sont en mesure de poursuivre leur ambition de grande puissance régionale : en Somalie, à Djibouti et en Érythrée, où ils ont établi une base à Assab, ils ont massivement étendu leur emprise sur le terrain. Ils exercent également une influence certaine au Soudan, faisant appel notamment aux mercenaires de ce pays. En Somalie, la société DP World, le troisième gestionnaire de ports du monde, a obtenu la gestion du port de Berbera. L’expérience de MBZ en Égypte et en Libye confirme que la force armée peut être employée avec succès pour sécuriser les intérêts géopolitiques des EAU.
Chercheur en sciences politiques associé à l’Université libre de Bruxelles et à l’UQAM (Québec), l’auteur dresse un tableau complet et dru de cet acteur influent dans le monde arabe et au Moyen-Orient. Doté de 6 % des réserves pétrolières du monde, accueillant l’unique base militaire française dans la région (il est le 6e acheteur d’armes françaises), ayant ouvert une filiale du Louvre, comme des campus d’HEC et de l’INSEAD, ce petit pays par la surface et la population fait partie des rares pays de sa taille à exercer une influence sur de vastes zones géopolitiques.
En effet, outre la Corne de l’Afrique, sa proximité avec Riyad, Abou Dhabi contrôle l’île de Socotra, via le Conseil de la transition du Sud (CTS) qu’il soutient ; il est également présent aux Maldives et aux Seychelles. Le pays, après avoir soutenu les opposants à Bachar el-Assad, est le premier à avoir renoué avec lui, espérant participer à la reconstruction du pays, tout en contrant, de concert avec la Russie avec laquelle il a signé un accord en mars 2019, l’influence de l’Iran. C’est d’ailleurs la commune hostilité à la puissance chiite iranienne, l’Amalek, l’ennemi suprême pour les Israéliens, qui a été à l’origine des accords d’Abraham. Depuis la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, en août 2020, on assiste à une véritable Lune de miel entre Abou Dhabi et Tel-Aviv. Comme l’écrit Sébastien Boussois, il se produit une véritable israélisation des Émirats.
Micro-État dans la région, tourné vers la mer et la terre, Tel Aviv-Jaffa s’est hissé politiquement comme une puissance économique, scientifique et militaire. L’État hébreu suscite chez MBZ le fantasme de l’État bastion luttant pour la liberté envers et contre le reste de la région. La formule est peut-être forcée, mais elle fait mouche : les EAU n’ont-ils pas été parmi les meilleurs clients du logiciel Pegasus de la société israélienne NSO. Pour MBZ, Israël lui apporte son savoir-faire dans les industries de pointe, de l’armement et de la sécurité, la cyberprotection, la diversification économique et les investissements mondiaux. Certes, la diplomatie émiratie a essuyé des échecs, n’ayant pas réussi à emporter la présidence de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en raison du boycott aérien infligé au Qatar, contraire aux règles de l’organisation.
En concluant, Sébastien Boussois, esquisse quelques pistes d’avenir, en faisant l’hypothèse qu’en effectuant leur pivot vers l’Asie, les États-Unis leur délégueront le rôle d’agent de sécurité régionale. Par ailleurs, l’ambition à long terme est de devenir, avec l’aboutissement des Routes de la Soie, un pont entre la Chine et le Moyen-Orient et l’Europe. Cependant, le jeu dans cette région, carrefour entre mer d’Oman, golfe Arabo-Persique et océan Indien, est complexe, évolutif et ne manquera pas d’attirer de nouveaux partenaires, Russie, Chine, Turquie et Inde. Mais pourquoi parler du « rêve impérial » de MBZ, plutôt que d’évoquer son rôle dans le maintien de la stabilité régionale, ce qui a aussi un prix.
Eugène Berg