Alors que l’agression russe contre l’Ukraine s’intensifie tout en faisant planer le risque d’embrasement international, le think-tank américain se projette déjà sur l’après-guerre. « Quel sera donc l’état du monde après cette guerre à l’issue incertaine ? », s’interrogent les analystes. Ceux-ci s’accordent, d’entrée de jeu, sur le fait que la guerre en Ukraine marque le début d’une nouvelle ère qui sera définie à la fois par le résultat sur le terrain militaire et la réponse internationale.
Dans sa réflexion intitulée « The Price of Hegemony. Can America Learn to Use Its Powers », Robert Kagan soutient que la décision du Président Poutine d’envahir l’Ukraine est une réponse à l’hégémonie américaine et ses alliés en Europe post-guerre froide. Nonobstant les critiques et les attaques, les États-Unis gagneraient à reconnaitre à la fois leur position dans le monde et leur intérêt à préserver l’ordre mondial libéral. S’il y a une leçon à tirer de l’agression de l’Ukraine par la Russie, c’est qu’elle est pire que l’hégémonie.
Pour Tanisha F. Fazal, l’avenir de l’ordre mondial dépend de l’Ukraine. Un ordre mondial mis à mal par la pratique anachronique de la conquête territoriale contraire à la norme d’intégrité territoriale des États. Et de marteler que la guerre russe en Ukraine pourrait ouvrir la voie au retour des conquêtes territoriales. Telle est la quintessence de son article titré « The Return of Conquest? ». Il invite, par conséquent, le reste du monde à protéger la norme que Moscou a défiée par des sanctions et le recours aux tribunaux internationaux.
Stacie Goddard se veut plus spécifique dans son analyse « The Outsiders. How the International System Can Still Check China and Russia ». À son avis, la Russie et la Chine s’évertuent, depuis des décennies, à répudier l’ordre international libéral conduit par les États-Unis avec l’aide de l’inefficacité du leadershipaméricain et l’échec des institutions internationales. Il préconise ainsi le renforcement de la stratégie de realpolitik institutionnelle consistant à déployer le système international pour contenir les défis révisionnistes coordonnés de Moscou et Pékin.
Revenant sur le futur de la Russie, David Treisman estime que, Poutine, en s’attaquant à l’ordre international d’après-guerre et en changeant sa stratégie de contrôle à l’intérieur, joue avec son propre avenir. « Poutine Unbound. Repression at Home Presaged Belligerence Abroad », ce titre évocateur établit le lien entre la tyrannie ou l’autoritarisme à l’intérieur et la belligérance à l’extérieur.
Anna Reid évoque « une guerre de Poutine contre l’Histoire » (Putin War on History) tandis que Stephen Kotkin soutient que la « Guerre froide n’est jamais terminée » (The Cold War Never Ended). Le premier analyste replonge le lecteur dans les méandres historiques et géopolitiques de l’affaire ukrainienne avant de conclure que l’agression russe a uni les Ukrainiens plus que par le passé, et la guerre pourra probablement durer plus longtemps. Mais son issue est inconnue.
Le deuxième analyste précise que la baisse d’intensité de la compétition entre les grandes puissances a permis à la Russie d’aiguiser ses ambitions territoriales dans son voisinage. À présent, la fin de ces ambitions dépendra de l’issue de la guerre en Ukraine.
De ce dossier digne d’intérêt, il ressort que le nouveau monde projeté par les Occidentaux, après la guerre ukrainienne, est celui d’une Russie stratégiquement affaiblie, incapable de poursuivre ses actions révisionnistes potentiellement nocives à l’ordre international libéral. Le déclin russe devrait alors faire réfléchir la Chine. ♦