Économiste de formation Alexandre Keltchewsky a effectué une carrière diplomatique qui l’a conduit à trois reprises en URSS (1976-1980) puis à Moscou (1993-1995) et à Saint-Pétersbourg en 1998-2002. Il a été en poste à Belgrade de 1986 à 1990, puis a été chef de mission de l’OSCE à Astana, non sans avoir été en poste à Vienne, ce qui fait qu’il a consacré toute sa carrière aux relations Est-Ouest. Cela lui permet de décrire les événements auxquels il a été témoin, ou même acteur en tant que responsable de missions d’observation de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) en ex-Yougoslavie, en les replaçant dans toute leur complexité et leur longue durée.
Ce ne sont pas les réformes inabouties de Gorbatchev qui ont conduit à la chute de l’URSS, mais bien la gestion aberrante et inhumaine de ses dirigeants pendant les sept décennies qui ont suivi la Révolution (ou le coup d’État d’octobre 1917). Toute vérité sur l’économie soviétique était sous une dissimulation statistique et des falsifications de la réalité. Aussi, alors que les experts attribuaient à l’URSS, le 3e rang mondial en 1973 (OCDE, évaluations d’Angus Maddison), son expérience personnelle le conduit à la situer plus près d’un pays comme la Malaisie qui occupait alors le 25e rang. Le lecteur pourra prolonger le raisonnement jusqu’à la période actuelle, qui a vu un quasi-doublement du PIB durant la période 2000-2008 mais, depuis, la croissance n’a jamais dépassé la fourchette 3 à 4 % et s’est effondrée de près de moins 8 % en 2009, et devrait connaître cette année une baisse de 11 %.
Est-ce pure illustration littéraire si Alexandre Keltchewsky cite une page d’un ouvrage récent, traduit par lui consacré aux villages Potemkine. Veut-il entendre par là que ce phénomène n’a cessé d’exister. S’agissant du démembrement de la Yougoslavie, en décrivant ses missions de conciliation menées sur le terrain, essentiellement en Istrie, il cherche à éviter à tomber, comme l’on fait maints observateurs, dans le « piège ethnique » Serbes contre Croates, Bosniaques, et autres nationalités. Il montre, exemples à l’appui, que la responsabilité des événements qui ont abouti à la déségrégation du pays et aux atrocités de la guerre civile qui a suivi, doit être attribuée au seul régime politique, la Ligue communiste à son fondateur Tito et à son successeur tout aussi bolchevique, Slobodan Milosevic, qui a tenté de préserver ce régime alors qu’apparaissait la menace pour lui du pluralisme politique, de la démocratisation. Aussi, le court et vivant ouvrage d’Alexandre Keltchewsky, s’il éclaire ce passé « qui ne passe pas » éclaire aussi un peu le présent. ♦