L’histoire récente de l’Algérie est un domaine aussi fécond que complexe. Son historiographie est déséquilibrée note d’emblée Pierre Vermeren, devenu ces dernières années un des spécialistes de l’histoire du Maghreb et des relations entre les deux rives de la Méditerranée. Quatre séquences se chevauchent, ressortent de son passé moderne et contemporain : la période ottomane oubliée, mais que Recep Tayyip Erdogan voudrait faire resurgir, la période coloniale, labourée en tous sens et par combien d’historiens, celle de la guerre d’Algérie, surinvestie, mais sur laquelle le regard reste passionné, comme l’atteste le refus des Algériens de se retrouver, ne serait-ce que partiellement dans les conclusions du rapport Stora. Celle de l’Algérie indépendante, depuis 1962, presque ignorée, sauf par les spécialistes du tiers-mondisme, du non-alignement, qui ont relaté les heures du leadership algérien entre les années 1965-1975, lorsqu’Alger est devenue La Mecque des mouvements de libération nationale.
Écrire une histoire de l’Algérie en prenant de la hauteur n’est pas facile, car aucun pays asiatique ou africain n’a été aussi bouleversé par la colonisation. Pierre Vermeren y parvient avec brio, dans un style sobre, en se référant aux deux figures tutélaires que furent l’émir Abdelkader, au début du XIXe siècle et l’autre, le Président Abdelaziz Bouteflika.L’histoire de l’Algérie contemporaine s’est déployée dans trois lieux essentiels de la société politique d’Afrique du Nord : l’empire, la nation et la tribu. De ce fait, la patrie, algérienne, la ouatan, alias watan a mis du temps à émerger et se détacher de l’oumma « la communauté des croyants ». On en voit pour preuve l’emboîtement d’États, Maurétanie Césarienne, pays des Maures, Berbérie, État barbaresque, Afrique du Nord, ou Maghreb central, royaume ou régence d’Alger, puis Algérie française et El Djazaïr.
Pour forger un État-nation, le peuple algérien a donc dû se libérer de deux tutelles impériales. Il lui a fallu briser à la fois la structure impériale, la structure coloniale, mais aussi les structures tribales. C’est la raison pour laquelle ce processus de rupture qui fut l’œuvre de l’armée, l’ALN, plus que du parti, le FLN, a créé, si l’on peut dire un État successeur, largement dominé par l’armée, épine dorsale de l’Algérie contemporaine, qui laisse peu de place véritable à une vie politique autonome, libre et compétitive. Les dernières pages de l’ouvrage, consacrées au Hirak, surgi le 22 février 2019, montrent bien que ce fut en définitive une révolution populaire avortée. Après avoir opéré une purge en éliminant le clan familial des Bouteflika, l’État profond algérien a déployé toute son inventivité de régime autoritaire pour endiguer la révolte pacifique, et il y est parvenu. Avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, les rapports entre l’Algérie et la France se sont détériorés, et le pays a rompu ses relations avec le Maroc, pour la deuxième fois de son histoire. Alger tout en se rapprochant de la Russie, dont il dépend de plus en plus pour ses armes, s’est montré disposé à fournir plus de gaz à l’Italie, mais ses quantités restent marginales au regard des flux en provenance de la Russie. C’est une histoire claire, précise que livre Pierre Vermeren. Contribuera-t-elle à dissiper bien des malentendus ? S’il est encore bien tôt pour se livrer à une histoire commune des relations France-Algérie comme les historiens français et allemands en ont produit une pour les relations France-Allemagne, il y a cela plus de trente ans, la pierre qu’apporte dans cet édifice Pierre Vermeren, constitue une première contribution. ♦