
Depuis le 24 février et le déclenchement de l’invasion par la Russie du territoire de l’Ukraine, l’Europe se retrouve confronté à un conflit majeur avec des risques de dérapage dépassant le simple théâtre d’opérations ukrainien. Vladimir Poutine a mis à exécution son ambition stratégique visant à reconquérir une partie de l’espace post-soviétique, au nom de sa vision géopolitique du devenir de la Russie, en l’inscrivant dans une relecture de l’histoire, revisitant cet espace entre Baltique et mer Noire et dont les conséquences dépassent largement le cadre régional avec une mondialisation des effets de cette guerre.
Les causes de cette confrontation sont nombreuses et multiples, exigeant un décryptage dépassant les approches partisanes, alimentées par les outils de propagande principalement russes et bénéficiant jusqu’alors de relais complaisants chez certains en Europe de l’Ouest, niant à l’Ukraine le droit d’être un État souverain, indépendant et libre de ses choix stratégiques et montrant une admiration béate devant l’autoritarisme du dirigeant du Kremlin.
D’où l’intérêt majeur de l’ouvrage de Michel Foucher, géographe et diplomate, et dont les travaux sont particulièrement pertinents, utiles et nécessaires pour comprendre les grandes fractures géopolitiques qui déchirent désormais notre monde et dont le conflit en Ukraine en est désormais un des exemples les plus dramatiques et les plus déstabilisateurs à moyen terme.
Trois enjeux ressortent de cet affrontement.
• Le politique avec le refus de Poutine d’un État voisin au fonctionnement démocratique même si celui-ci reste très perfectible, notamment à cause d’une corruption endémique avec un monde des affaires – les oligarques – imbriqué au sein d’institutions encore trop faibles et fragiles.
• Le territorial, avec les litiges autour de la langue et de la religion, Poutine ayant une vision impériale de la Russie avec un empire colonial « entre-terre » devant rassembler tous les peuples russophones ayant été un jour ou l’autre sous l’autorité de Moscou.
• La géopolitique avec l’Ukraine perçu comme un glacis face à l’Ouest et qu’il faut neutraliser à tout prix pour en faire un État vassalisé et dont la politique étrangère est définie et guidée par Moscou comme au temps du pacte de Varsovie où les pays de l’Europe de l’Est ne disposaient que d’une souveraineté limitée.
Et pour Moscou, il y a désormais un ennemi central et non plus un partenaire avec qui il convient d’imposer un rapport de force afin de réviser les règles de fonctionnement sur la scène internationale. Cet adversaire, c’est un Occident « collectif », mêlant l’Europe et les États-Unis, l’Union européenne et l’Otan, dans un amalgame d’opposition et de rupture aujourd’hui durables, sans le moindre signe d’ouverture en ce début juillet de la part de Moscou.
Poutine raisonne en effet comme au temps des empires où ceux-ci se construisaient par la confrontation violente, alors même que le système international mis en place après 1945 s’était efforcé avec plus ou moins d’efficacité de limiter cette pratique de guerres de conquête. Le principe de l’intangibilité des frontières a d’ailleurs à peu près fonctionné, en étant éventuellement contourné par des déclarations d’indépendance et des fragmentations de certains États. Ce fut le cas en Afrique relativement récemment avec la partition du Soudan et l’Érythrée quittant le giron éthiopien après une longue lutte indépendantiste. En Europe, ce fut l’éclatement de l’ex-Yougoslavie avec une guerre civile entre 1991 et 2001 avec environ 140 000 morts et dont les stigmates sont resurgis à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine depuis le 24 février 2022.
De fait, pour Michel Foucher, il s’agit bien d’une guerre existentielle pour Kiev puisque Poutine remettait en cause l’existence même de cet État. Après bientôt cinq mois d’une guerre de haute intensité rappelant les ravages des deux guerres mondiales, Moscou a perdu son pari d’une « Blitzkrieg » visant à dénazifier, démilitariser et neutraliser l’Ukraine. Pour autant, Moscou n’a pas encore perdu et conserve un rapport de force encore conséquent sur les forces ukrainiennes, malgré l’aide occidentale. La Russie est encore en mesure de poursuivre la conquête d’une grande partie du territoire ukrainien pour imposer une partition de celui-ci et en l’isolant notamment de ses accès à la mer Noire, ce qui reviendrait à remettre en cause la viabilité de ce qui resterait sous le contrôle de Kiev. De fait, la dérive autocratique de Poutine – se voyant comme le successeur de Pierre le Grand – est en train d’entraîner le continent européen vers une catastrophe, dont la responsabilité incombe totalement au nouveau tsar russe.
Un Tract à lire de toute urgence ! ♦