Alors que les enjeux énergétiques et climatiques sont devenus critiques, ce livre a tout pour atterrir sur les bureaux des ministères, des parlementaires et des rédactions, tant on mesure à sa lecture que la décision politique doit faire appel, plus que jamais, à un minimum de connaissances économiques et scientifiques. Les ressources financières se font rares, l’erreur se paie très cher : comme le démontre l’Allemagne, un cas d’école, suite à sa décision prise en 2011, dans l’émotion, outre quelques calculs politiques, de démanteler son parc électronucléaire au profit de produits carbonés importés de Russie.
Merci donc aux auteurs : ce volume a imposé des heures carrées pour compiler des informations complexes, à l’écart de la doxa mainstream. Plus encore, la guerre en Ukraine a remis au goût du jour le retour à la notion de souveraineté nationale sur des dossiers qui engagent l’avenir du pays. Dans la catégorie grandes structures nationales, il en est donc de l’énergie nucléaire. Devant nous, une filière d’excellence dont le tempo industriel a imposé un consensus gauche-droite des gaullistes aux communistes, forgé au lendemain de la Libération. Le nucléaire nous a sortis du sous-développement, il peut aujourd’hui nous éviter un destin de déclassé. Le secteur engage maintenant notre défense et notre économie en un cercle vertueux. Sans nucléaire, plus de SNLE, mais aussi moins de TGV et moins de tramways et de métro, à moins de préférer les poussières de charbon dans l’air que nous respirons.
Il faut saluer ce livre, une nouvelle pierre à l’historiographie de notre force de frappe. En creux, on comprend que la fin du nucléaire civil signerait la fin de la composante océanique de la dissuasion. Pour notre politique de défense, la propulsion nucléaire garantit depuis les SNLE notre capacité de riposte immédiate (la notion de frappe en second), élément central de la stratégie de dissuasion nucléaire. Le travail de sape contre la filière civile relève donc d’une démarche oblique contre la dissuasion dès lors qu’il devient encore plus compliqué depuis le 24 février 2022 de s’attaquer directement à la force de frappe atomique. Voilà, c’est dit ! Dans la préface, l’amiral Pierre Vandier, chef d’état-major de la Marine a tenu à rappeler que la propulsion nucléaire est un atout souverain, tant elle constitue « le socle technologique sans lequel il serait impossible de tenir la posture permanente de dissuasion nucléaire océanique ».
Le sujet peut sembler aride, voire écarter le lecteur par des notions trop techniques. Alors soyons rassurants : Les Atomes de la mer se lisent comme un thriller. Citons quelques thématiques centrales : le Nautilus, une révolution navale ; l’échec du projet Q-244 lancé sous la IVe République ; les sous-marins stratégiques des classes « Redoutable » et « Triomphant », les unités d’attaque Rubis et Barracuda ; les programmes du futur confiés à l’industriel Technicatome, donc à l’horizon 2030 et 2040, les SNLE 3G et le futur porte-avions qui lui aussi sera à propulsion nucléaire. Un message clair : aux équipes en responsabilité de valoriser un héritage scientifique et industriel unique en Europe. On saisit bien l’impératif pour le pays d’accélérer la relance de sa filière, tant le secteur est totalement dual dans ses technologies, mais aussi dans les compétences requises du côté du personnel. Ce dossier nous renvoie donc à un enjeu national, une alimentation garantie 24/24 en électricité – à quasi-zéro émission carbone SVP – et la dynamique d’une économie à fort contenu technologique. On retrouvera en fin d’ouvrage un point de situation sur les programmes en cours aux États-Unis, en Russie, en Inde et en Chine. On déduit de tout ce dossier que notre sécurité repose largement sur la performance industrielle, surtout s’il faut « de la masse ». Un livre d’une vibrante actualité à l’aube d’une décennie où les armées sont engagées dans le renouvellement de la force maritime de dissuasion, sous-marins, porte-avions (deux ?) et les armes qu’ils seront prêts à délivrer pour ne jamais avoir à les lancer.