Le thème de la décadence de l’Occident, guère nouveau, fait florès. Toutefois, il prête à malentendu, car on confond trop souvent Occident et démocraties, et avec l’affaiblissement du premier on a cru que les autocraties avaient le vent en poupe, étant apparemment plus « efficaces » dans la lutte contre la Covid-19. Or, il n’en a rien été comme le montrent les mouvements de protestation en Chine et en Iran, alors qu’en Russie les opposants ont voté avec leurs pieds en quittant massivement le pays, qui voulait les envoyer mener une guerre fratricide.
Gérard Chaliand, assisté de Roc Chaliand et Nicolas Rageau, vient de lui consacrer un Atlas stratégique, de l’hégémonie au déclin de l’Occident (1).
L’Atlas offre, à l’aide de cartes simples et concises, une perspective historique sur les trois derniers siècles, loin de l’habituelle vision européano-centrée. Pourtant, la guerre en Ukraine, même si elle n’est pas perçue de façon identique par tous les pays du monde, remet la carte de l’Europe au centre du monde. De même, la Russie qui rejette l’Occident global « corrompu et en décadence », mène son (ultime ?) combat, non pas dans les steppes de l’Asie centrale ou dans ses confins extrême-orientaux, mais bien au cœur de ce que l’on peut nommer la troisième Europe. Nous voilà donc, avec cette guerre, entrés dans la guerre froide phase 3 qui, on peut le supposer, sera beaucoup plus courte que les périodes précédentes : 1947-1991 et 1991-2014. La compétition à venir devrait être militaire et technologique. D’ores et déjà en matière de recherche et développement (R&D), les résultats asiatiques sont excellents, avec 65 % des brevets déposés dans le monde en 2020, tandis que la Chine en dispose à elle seule de la moitié. L’économie chinoise en vingt ans s’est répandue dans le monde entier : 200 milliards de dollars d’échanges avec l’Afrique, où sont installées 10 000 sociétés ; 160 milliards de dollars de prêts aux pays latino-américains, surtout au Brésil et au Venezuela… En 2027, selon le FMI, l’Inde sera la quatrième puissance économique mondiale. L’Europe est un chantier inabouti, la Russie s’est trouvée amoindrie à la suite de son invasion en Ukraine, aux États-Unis, la présidence de Joe Biden n’est pas perçue comme pouvant répondre aux défis du moment. Il n’y aura, de façon nette, ni vainqueur ni vaincu dans le conflit ukrainien. Et il faudra, dans un délai relativement bref, négocier, car la guerre est, sur bien des plans, trop coûteuse. Cette leçon sera-t-elle entendue, et servira-t-elle pour Taïwan ?
(1) Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits, lui, consacre à cette thématique un livre, sous le titre Le déclin d’un monde. En fait, c’est principalement du déclin de l’Europe dont il traite. D’une Europe qui a cru à l’universalisme, qui a cru exporter ses idées et ses valeurs, qu’il suffisait pour cela de coloniser autrefois, de démocratiser aujourd’hui, si besoin au moyen d’une guerre.