« La Russie, c’est le Congo plus la bombe atomique », « La Russie est le 55e pays d’Afrique ». Au-delà de telles boutades, déjà bien anciennes, les lecteurs se demanderont pourquoi se lancer dans une telle comparaison, d’évidentes différences existant entre la Russie et l’Afrique. L’intérêt du sujet est pourtant réel, surtout au moment où, malgré la guerre en Ukraine, la Russie poursuit sa pénétration en Afrique, avec visiblement certains succès, comme l’a montré le récent exemple du Burkina Faso.
Il faut connaître ces deux objets géopolitiques, ou en avoir une connaissance intime, pour saisir la légitimité de cette recherche. Hormis les références sur le « retour » de la Russie en Afrique, un des sujets dominants du moment, très peu d’ouvrages ont abordé ce sujet. L’investigation que les auteurs ont menée sur trois décennies, des années 1990 à nos jours, leur a permis de faire ressortir des points communs entre ses deux zones allant bien au-delà de la phase post-guerre froide. Ils sont allés à la recherche des « tendances lourdes » qui semblent se retrouver dans les deux aires, que ce soit à travers l’État, l’économie, la société, l’organisation familiale et sociale, les régimes politiques, les valeurs, le monde de l’invisible, la corruption et quelques autres points communs, non sans remarquer qu’autant les caractéristiques voisines entre nos deux zones semblent nombreuses et profondes, autant elles paraissent éloignées, de façon quasi systématique, de ce qui définit le monde occidental. L’absence de séparation public-privé qui porte atteinte à l’État de droit, l’empreinte de l’État sur l’économie qui empêche un développement économique harmonieux, l’omniprésence du clientélisme qui constitue un frein à l’existence d’une véritable société civile, le système de parenté et l’organisation sociale qui consacrent le leadership du chef communautaire, par extension jusqu’au chef de l’État : ces quatre dimensions, aussi importantes l’une que l’autre, façonnent l’environnement qui mène tout droit à l’instauration de régimes autoritaires, lesquels peuvent conduire à de nombreuses dérives. Il suffit d’observer ce qui se passe actuellement en Russie où toute la société a été mise sous coupe réglée. Que de similitudes apparaissent : les régimes politiques autoritaires, les valeurs conservatrices, obstacle aux idées libérales et modérées ; le monde de l’invisible associé au fatalisme ; la corruption qui améliore le quotidien, voire beaucoup plus, le système D, le goût du paraître ou le sens de la fête qui aident une partie conséquente de la société à mieux supporter ce même quotidien.
Les autres points communs entre les pays africains et la Russie sont leur opposition avec l’Occident, la dérive guerrière et impérialiste de la Russie, manifeste depuis la guerre en Ukraine. La Russie, en position de relatif isolement, est à la recherche d’alliances sur le plan mondial, souhaite obtenir le soutien d’anciens pays colonisés par l’Occident, dont ceux d’Afrique. Les auteurs tirent une sonnette d’alarme : les liens que l’on voit se développer entre les pays africains susnommés et Moscou pourraient bien faire tache d’huile, tant certains dirigeants africains séduits par la puissance militaire de la Russie risquent d’être tentés par cette nouvelle relation à l’heure de la menace islamiste en Afrique.