Héritiers des câbles sous-marins télégraphiques apparus au XIXe siècle, les câbles sous-marins numériques modernes font régulièrement parler d’eux, soit comme condition de la connectivité indispensable au développement économique des nations, soit comme objet de compétition géopolitique entre États. La récente publication d’une Stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins a ainsi contribué à mettre en avant les enjeux des câbles sous-marins pour un pays comme la France. Pour autant, ces artères de la mondialisation qui jalonnent les grands fonds marins sont souvent l’objet de nombreuses approximations et de nombreux fantasmes : l’ouvrage de Camille Morel, juriste et chercheuse en relations internationales, vient donc opportunément clarifier les enjeux portés par ce réseau mondial de plus de 450 câbles qui est entré depuis la décennie 2010 dans une phase de forte croissance. Ainsi, en complément d’une description technique et physique de ce réseau planétaire, ce court précis offre au premier chef une mise en perspective historique et géographique qui permet de cerner comment les câbles sous-marins sont rapidement devenus, après leur apparition, le siège de rapport de forces entre nations, en temps de paix comme en temps de guerre : à l’ère du télégraphe comme à celle d’Internet, le contrôle de ces « autoroutes de l’information » qui véhiculent l’écrasante majorité du transit d’informations entre les hommes est un avantage décisif pour peser dans les équilibres mondiaux.
Sur le plan économique, après s’être attachée à montrer pourquoi les câbles sous-marins modernes sont particulièrement rentables par rapport aux autres moyens (spatiaux et terrestres) de transit de l’information à l’ère numérique, Camille Morel se penche sur le rôle des acteurs de l’écosystème de la toile sous-marine : fournisseurs, propriétaires et poseurs se complètent pour étendre, faire vivre et maintenir en état de fonctionnement un enchevêtrement dont le maillage (nœuds, artères et « déserts ») est le reflet direct des dynamiques économiques et financières qui animent la planète. Sur ce marché, les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft) jouent depuis 2010 un rôle croissant et bouleversent les équilibres traditionnels, en apportant leur besoin de disposer de leurs propres câbles pour relier leurs data centers, passant ainsi du statut de simples « clients » des opérateurs historiques à celui de « propriétaires » de bout en bout.
Au registre géopolitique, cet essai « fait parler » le réseau de câbles sous-marins en mettant en relief la centralité des États-Unis (Washington ayant pris au cours du siècle dernier le relais de Londres dans le rôle de centre de gravité du réseau mondial) et la manière dont ces derniers mobilisent un vaste arsenal juridique, économique et capacitaire pour protéger son statut de puissance dominante dans le domaine des câbles sous-marins. Camille Morel donne au passage un éclairage sur le volet sécuritaire de la question des câbles sous-marins, en dressant un panorama des menaces avérées ou potentielles (coupure, écoute, etc.) qui pèsent sur cette toile mondiale. Ces pages explorent également le versant juridique de l’univers des câbles sous-marins, dont la gouvernance fragmentée n’est pas adaptée aux enjeux à venir : ici, l’auteur analyse bien les tensions entre la liberté de pose, la protection de l’intégrité des câbles et le besoin de régulation globale pour optimiser le fonctionnement et l’architecture d’un réseau que certains considèrent comme un bien commun de l’humanité. En dernier lieu, quelques développements sont consacrés aux enjeux environnementaux autour des câbles sous-marins (pollution et conséquence du changement climatique).
En refermant l’ouvrage, le lecteur y verra plus clair sur un réseau à la croisée entre la compétition interpuissances et la coopération autour de la technologie numérique. Il aura également une bonne appréciation des atouts et des vulnérabilités de la France (à la fois hexagonale et ultramarine) dans ce domaine dont on parlera sans doute beaucoup dans le siècle qui s’ouvre. ♦