Selon bien des projections, l’Allemagne, aujourd’hui 4e puissance économique du monde, demeurerait parmi les dix plus importantes qui auront émergé en 2050, en prenant en compte l’Inde, le Brésil, l’Indonésie et certains autres. La France, actuellement 7e économie mondiale, ne figurerait, en 2050, qu’entre la 10e et la 20e place. La convergence de continuelles prévisions rend très plausible un tel scénario. La France décroche dans de nombreux secteurs économiques et cet ouvrage a pour objet de le démontrer. L’Allemagne progresse dans le domaine économique. Elle attire la quasi-totalité des migrants arrivant en Europe.
Aussi en matière de performances les deux plaques tectoniques de ces deux grands pays s’éloignent l’une de l’autre. Pourquoi cet écart croissant ? C’est que l’Allemagne a opéré une révolution économique radicale grâce à l’Agenda 2000 de Gerhard Schröder et ses célèbres lois Hartz sur la modification du marché de travail, lois certes contraignantes, mais qui ont remis ce « gros malade » définitivement debout. Angela Merkel, jusqu’en 2021, s’est inscrite dans les pas de son prédécesseur. De ce fait les performances respectives des deux pays entre ces deux dates se sont inversées. En 2000, la France affichait un excédent commercial par rapport à l’Allemagne alors qu’aujourd’hui son déficit commercial atteint 164 milliards d’euros. La France a détruit, depuis 1980, près de 2 millions d’emplois dans le secteur industriel, tandis que le poids de ce secteur ne correspond plus qu’à 10,5 % de son PIB, soit moitié moins que celui de l’Allemagne (21 %). Les déserts manufacturiers se sont multipliés sur le territoire français. L’adoption de l’euro aurait pu permettre à la France de s’imposer une gestion macroéconomique crédible, l’obligeant d’être vertueuse en matière de finances publiques. Cependant, la France a continué à s’adonner à ses démons favoris, préférant les déficits budgétaires et le recours à l’endettement, véritable argent magique avant l’heure, afin de flatter politiquement un électorat populaire réclamant « toujours plus ». La France a créé un engrenage fatal en instaurant, sans étude préalable, un régime de travail de 35 heures, unique en Europe. L’État, se voulant plus chevronné en progrès social qu’expert en économie, a pris l’habitude de soutenir le niveau de vie de la population en multipliant à la fois les emplois publics et les dépenses sociales, sans trop se soucier de l’intendance, à savoir la capacité des entreprises privées à absorber sans cesse le coût de ces chocs sociétaux : c’est ainsi que les charges grevant les coûts des entreprises n’ont cessé d’augmenter jusqu’au point où les pouvoirs publics ont dû actionner le levier de la dette publique pour financer ces dépenses sociales. Dans ce contexte, certaines entreprises françaises ont abandonné le territoire national. C’est ainsi que dans le seul secteur manufacturier, les filiales étrangères des entreprises françaises représentent 2,5 fois la valeur industrielle de la France alors que pour l’Allemagne ce ratio n’est que de 1,3, pays où les entreprises n’ont pas connu le même engouement pour les délocalisations. Quand cela a été le cas, ces délocalisations se sont déroulées dans les pays limitrophes et de façon très temporaire.
Cette comparaison fait naître du côté français une frustration croissante dont on n’ose pas trop parler. On n’ose plus commenter en France le fossé existant entre les deux pays tant ce problème est humiliant, tandis qu’en Allemagne il est coutume de tourner en dérision la France en la traitant de « die grosse Nation » – ou « grande Nation » – pour exprimer qu’elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. Travaillant souvent en Allemagne, l’auteur a pu ainsi mesurer, la montée en flèche de cette expression narquoise, dénotant non pas un instinct de supériorité du côté allemand, mais plutôt une désillusion, celle qui s’exprime quand un partenaire que l’on croyait solide ne l’est pas. Certes, au niveau officiel, le dialogue intergouvernemental est toujours feutré et policé, tradition diplomatique oblige, mais c’est bien le ressentiment de l’Allemagne profonde qui s’exprime ainsi. Or, ce ressenti ne peut être pris à la légère. Néanmoins, la France semble ne pas vouloir s’en rendre compte, ce qui ne l’aidera pas à redresser la barre. Il suffit de rappeler certains chiffres qui ne sont pas trop flatteurs pour elle. Si en outre la France est classée au 7e rang mondial pour le niveau de son PIB, elle n’est que 25e en termes de PIB par habitant et 30e en PIB par habitant à parité de pouvoir d’achat (PPA), c’est-à-dire en tenant compte du coût de la vie. L’Allemagne, dans ce domaine, témoigne encore d’une foi certaine dans la valeur travail, valeur partagée par la population, même si des revendications sporadiques se font jour, ici ou là, pour diminuer la durée du travail, comme dans la branche métallurgique, à la demande du puissant syndicat IG Metal. La valeur travail conserve encore en Allemagne une vraie aura, contrairement à la France. Ce constat net sinon brutal, pour vrai qu’il soit négligé pourtant certaines faiblesses allemandes en matière de microprocesseurs, d’innovant et du retard pris par le secteur automobile en matière électrique surtout par rapport la Chine. Jean-Pierre Estival néglige également l’avance française en matière de start-up et, réalité oblige, dans le domaine de la défense. La comparaison entre modèle allemand et système social français a été maintes fois menée. Le constat sévère de l’auteur devrait conforter les efforts engagés actuellement en faveur de la réindustrialisation de la France. ♦