L’épopée des révoltés de la Bounty est dans toutes les mémoires, mais si cette histoire nous paraît si familière, c’est qu’elle a été en quelque sorte révélée au grand public par deux écrivains américains de grand renom : Charles Nordhoff et James Norman Hall. Mutiny on the Bounty paraît en 1932, suivi de Men Against the Sea puis de Pitcairn’s Island qui vient clore une trilogie qui assure à ses auteurs un immense succès littéraire qui se maintiendra sur une trentaine de romans, d’où sont tirés plusieurs grands films.
Commissaire de la Marine, Gonzague Aizier a découvert James Norman Hall lors d’une affectation en Polynésie entre 2016 et 2018. Son livre raconte la vie hors du commun de cet aventurier américain aussi discret qu’original, qui a choisi de vivre à Tahiti parce que « seules les extrémités des tentacules de la pieuvre de la civilisation occidentale, telles que nous la connaissons aujourd’hui, s’étaient avancées aussi loin dans la Pacifique et leurs effets se faisaient à peine sentir. »
Avant de s’exiler volontairement dans les mers du Sud dès 1920, le jeune héros américain a suivi un parcours chaotique : sorti de l’université en 1910, il s’essaie à la profession d’écrivain en rêvant d’aventures avec la découverte de Lord Jim de Conrad. Séjournant à Londres en 1914, il rejoint en août les volontaires du 9th Battalion, Royal Fusiliers, rapidement envoyé sur le front en France. En 1916, il s’engage dans l’escadrille La Fayette composée de volontaires américains, puis il rejoint l’US Army Air Service comme capitaine en 1917, où il rencontrera Charles Nordhoff. Abattu au-dessus des lignes ennemies en mai 1918, il terminera la guerre prisonnier en Allemagne.
Les deux amis écrivains poursuivront leur fructueuse collaboration entre les deux guerres, Hall menant une vie de famille simple et rangée à Tahiti, alors que celle de Nordhoff est plus chaotique et le conduit à rentrer en Californie en 1937. Les romans et les films se succèdent mais les années qui passent marquent l’effacement progressif de Charles Nordhoff. James Norman Hall se sent alors orphelin et son œuvre prend un tour plus original.
D’une lecture agréable, l’ouvrage de Gonzague Aizier évoque remarquablement le parcours étonnant de cet écrivain à succès, tout à la fois héros de la Grande Guerre et père de famille exemplaire vivant modestement à Tahiti. James Norman Hall y a manifestement découvert une sorte de béatitude, dans « un rapport au temps où chaque instant est pleinement vécu » et cette « envie de rien que les Polynésiens appellent le fiu ». ♦