Au moment où l’on s’interroge sur la nature du pouvoir russe, s’agit-il d’une dictature, ou d’un pouvoir mafieux, cet ouvrage fort bien documenté tombe à pic. Il a fallu réunir le savoir de deux experts pour fournir une telle masse d’informations. Le premier, historien russo-américain, universitaire, expert internationalement reconnu de l’Union soviétique et de la Russie contemporaine, Yuri Felshtinsky, est l’auteur de divers ouvrages traduits dans plusieurs langues dont Blowing Up Russia, écrit avec l’ex-espion tué au polonium, Alexandre Litvinenko. Le second, ancien officier de l’Armée rouge en RDA et lieutenant-colonel du KGB, Vladimir Popov est un opposant en exil. Tous deux ont codirigé la somme The KGB Plays Chess: The Soviet Secret Police and the Fight for the World Chess Crown.
Les auteurs relatent la chronique secrète de la longue lutte qui n’a cessé dès la création de la Tcheka le 21 décembre 1917 d’opposer la police secrète au parti communiste. Au terme d’un long affrontement, souvent souterrain, mais parfois public la Tcheka et ses nombreux avatars : le Guépéou, le NKVD, le KGB, le GRU, le FSB, ce sont les services, avec leur tête Vladimir Poutine qui sont parvenus à s’emparer de tous les leviers de l’État. Sans révéler de nouvelles informations sur le maître du Kremlin, les auteurs décrivent minutieusement son parcours, exceptionnel à maints égards, pour un lieutenant-colonel qui n’a pas toujours été bien noté par ses supérieurs.
Ce n’est qu’après leur troisième tentative que les services sont parvenus à leurs fins, avec le putsch d’août 1991, puis la mutinerie d’octobre 1993 contre Boris Eltsine.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale c’est bien l’élite de l’Armée rouge qui a été décimée et cette œuvre n’a pu être perpétrée que par le NKVD. Certes, déjà, à la mort de Brejnev, c’est le puissant patron du KGB, Youri Andropov, qui était parvenu au pouvoir, mais son règne ne dura qu’une année. À l’aide de multiples exemples, témoignages, mémoires, les auteurs montrent que les organes de la terreur ont été au cœur de l’essor de l’URSS et ont conquis tous les pouvoirs en Russie après sa chute. Il s’est agi également pour partie d’un pacte originel entre les agents et les mafieux, leurs rivalités avec les politiques, leur victoire finale sur les idéologues, leur domination complète sur l’État, transformé en outil kleptomane, répressif et belliciste. Des empoisonnements au Kremlin aux machinations de la guerre froide et aux bombardements de la Tchétchénie, des bourreaux du Goulag aux tankistes de Prague et aux manipulateurs du Cyber, des guébistes de Dzerjinski, Iejov, Beria, Andropov, voici, épisode après épisode, acteur après acteur, toutes les clés de cette ascension qui éclaire la face cachée de l’actualité.
On apprend une foule de choses à la lecture de ce livre, comme le projet de création d’une République autonome juive en Crimée, une ruse qui n’a servi qu’à attirer, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la sympathie de la communauté juive américaine afin que celle-ci milite pour une aide accrue en faveur de l’URSS, tout en lui livrant, via quelques-uns de ses membres, les secrets de l’arme atomique.
La période actuelle de suprématie du FSB commence quand Vladimir Poutine en prit les rennes, le 25 juillet 1998, qui fit de Nicolas Patrouchev, son adjoint en octobre, alors que l’ancien chef du Service des renseignements extérieurs (SVR) Evgueny Primakov devient Premier ministre. En quelques mois la « prise du pouvoir » s’accélère, des attentats de septembre 1999, à l’origine de la seconde guerre de Tchétchénie au naufrage du Koursk, qui a permis à Vladimir Poutine, sous le prétexte de manque de patriotisme d’éliminer la télévision libre, qui deviendra par la suite son principal instrument de pouvoir. Tous les thèmes qui nous préoccupent au plus haut point : monde russe, guerre hybride contre l’humanité, le nouvel ordre européen, la stratégie de divisions de l’Occident (le brise-glace nommé, Trump), les actions du renseignement russe aux États-Unis, sont fort bien documentés. ♦