Voici un très synthétique et solide ouvrage, d’un des grands experts de l’Asie et de la Chine, fondateur et président d’honneur de l’Institut HEC Eurasia. On y trouvera d’abord une réflexion sur le sujet d’une seule Chine qui, en passant de l’histoire à la situation actuelle, montre en quoi la question de Taïwan est devenue existentielle, tout en étant un objet diplomatique radioactif. En 2005, l’Assemblée nationale populaire de Pékin passa une loi, votée avec 2 896 voix favorables et 2 abstentions, consacrée exclusivement à Taïwan, qui condamnait par avance des menées sécessionnistes.
Depuis, on le sait, et plus encore avec l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, le Dragon tisse sa toile de désinformation et harcèle constamment l’île rebelle. En octobre 2021, par exemple 148 chasseurs chinois, parmi lesquels le redoutable chasseur furtif J-20 (modernisé à partir du Su-27 russe) ont fait une démonstration de force, en faisant demi-tour à la limite extrême de leur menace ! Au-delà de toutes ces intéressantes données, l’intérêt principal de l’ouvrage de Jacques Gravereau est la partie III de son ouvrage, qui en couvre près de la moitié, intitulée « Jeux de guerre ». Il y développe, s’appuyant sur l’état des forces actuelles ou programmées, trois scénarios, vert, orange, rouge.
Le premier est celui du statu quo à bas bruit. Le deuxième est celui des gesticulations frisant le point de rupture. Mais c’est le dernier qui nous plaît le plus, celui des actions militaires brutales. Bien des wargames, mobilisant de puissants think tanks très sérieux et transparents ont fourni une quantité d’hypothèses. Cela peut commencer par l’attaque et l’occupation des petites îles taïwanaises toutes proches de la côte chinoise : Kinmen (Quemoy), les îles de Matsu, le minuscule archipel – bien moins connu – des Wuqiu entre les deux. De la quarantaine au blocus, Jacques Gravereau décrit dans le détail les différentes éventualités. Débouler à Taïwan, éloigné en son point extrême de 160 km, exactement la distance séparant l’île de Wight des plages du débarquement de Normandie est une entreprise à hauts risques. Le détroit est peu profond, et des fermes piscicoles ont été installées tout au long des 15 plages potentielles de débarquement. Aussi pour que l’opération chinoise réussisse faudrait-il que l’Armée populaire de libération (APL) parvienne à débarquer en trois semaines 500 000 hommes et soit capable de les ravitailler. Au final, la Chine pourrait débarquer à Taïwan, pas sur tout le territoire au cas où la flotte américaine ne réussirait pas à l’endiguer, mais elle y perdrait tous ses porte-avions, et sa flotte serait réduite de moitié. C’est une victoire à la Pyrrhus, pas une victoire claire et nette. C’est un champ de ruines. ♦