En raison des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en cet été 2024, l’avenue des Champs Élysées et la Place de la Concorde ne pouvaient pas accueillir le traditionnel défilé militaire du 14 juillet. Dès lors, un autre parcours fut proposé, allant de l’Arc de Triomphe à la Place Dauphine, en profitant de l’avenue du Maréchal Foch. Ce changement d’itinéraire a d’ailleurs suscité des interrogations et des doutes, trop de commentateurs ayant oublié que ce n’est qu’en 1981, avec la présidence de François Mitterrand, que les Champs-Élysées devinrent le trajet permanent pour la fête nationale.
C’est là tout l’intérêt de ce magnifique album, à la fois richement illustré et très documenté, lancé à l’initiative du général Christophe Abad, gouverneur militaire de Paris, permettant de retracer l’histoire du défilé depuis 1880, véritable témoin de l’histoire de France avec ses heures glorieuses mais aussi ses drames. Cette traditionnelle cérémonie a ainsi su évoluer au cours des décennies, reflétant les capacités de nos armées mais aussi cette relation spéciale entre celles-ci et la population française.
La notion de défilé ou de parade appartient à la très longue histoire d’un rite militaire multiséculaire, directement lié à l’art de la guerre et au déplacement des troupes, dont l’hommage rendu par le peuple à ses soldats, comme le fameux triomphe romain permettant au chef victorieux de défiler dans Rome pour célébrer ses victoires.
Notre 14 juillet national fait, certes, référence à la prise de la Bastille en 1789, symbole de l’absolutisme royal, mais surtout à la Fête de la Fédération en 1790 et qui devait sceller la réconciliation du roi et de la Nation. Cette scénographie gigantesque sur le Champ de Mars fut une réussite, mais n’empêcha pas ultérieurement de voir la Révolution broyer ses propres géniteurs, avec la Terreur de 1794. De fait, si de nombreuses parades militaires eurent lieu sous le Premier empire et que l’Arc de triomphe décidé par Napoléon en 1806 fut inauguré en 1836, il fallut attendre la IIIe République et 1880 pour que le 14 juillet devienne la fête nationale et que les armées fussent honorées à cette date-là.
Le 14 juillet 1880, les troupes sont déployées sur l’hippodrome de Longchamp dans le Bois de Boulogne. Les régiments rassemblés y reçoivent leurs étendards et drapeaux devant environ 300 000 spectateurs ; et jusqu’en 1914, Longchamp accueille le défilé. En 1909, 2 dirigeables survolent le dispositif et en 1912, un premier avion y effectue un vol de démonstration.
La Grande Guerre vient interrompre cette nouvelle tradition festive, mais cela n’empêche pas de célébrer le 14 juillet avec des défilés incluant des représentants des troupes alliées. Aujourd’hui, cela fait donc plus d’un siècle que des soldats de nos Alliés participent ainsi à la célébration de la Nation. De fait, le défilé du 14 juillet 1919 est celui de la Victoire, avec les maréchaux en tête sur leurs chevaux, tandis que la foule fut estimée entre 2 et 4 millions de spectateurs, entre la Porte Maillot et la Place de la République, en passant sous l’Arc de triomphe. C’est l’occasion de rendre hommage au 1,7 million de soldats tués au champ d’honneur, tandis que les cohortes des « gueules cassées » accompagnent les unités combattantes.
Entre 1920 et 1939, le 14 juillet, outre qu’il va se déplacer à Vincennes, sur l’esplanades des Invalides ou entre l’Étoile et la Place de la Concorde, sera aussi en concurrence avec le 11-Novembre dont la mémoire marque la chair de la Nation.
Le 14 juillet 1939 rend hommage à l’empire britannique : 30 000 soldats défilent. Le défilé aérien comprend 300 avions français, 27 bombardiers britanniques et 2 escadrilles de Spitfire et d’Hurricane ; une démonstration de force, avant que l’orage ne gronde sur l’Europe à partir du 1er septembre 1939.
Si le régime de Vichy renonce à organiser des cérémonies militaires le 14 juillet, le général de Gaulle, dès le 14 juillet 1940 célèbre la fête nationale ; et en 1945, ce sont trois jours de célébrations qui sont organisés, avec des troupes défilant place de la Nation, à la Bastille puis à l’Arc de triomphe.
À partir des années 1960 et sous la présidence du général de Gaulle, le défilé est l’occasion de voir la modernisation des armées françaises post-guerres de décolonisation avec la présentation des nouveaux matériels comme les chars AMX 13 puis 30, les avions de chasse Mystère puis Mirage. Une des grandes nouveautés est, bien sûr, la retransmission télévisée alors assurée par l’ORTF.
En 1973, pour la première fois, le porte-drapeau de l’École polytechnique est une femme, Anne Chopinet, major de sa promotion. Quand Valéry Giscard d’Estaing succède au président Georges Pompidou, décédé en avril 1974, le défilé va se dérouler différemment et alterner entre les Champs-Élysées et d’autres parcours comme devant l’École militaire ou vers Bastille-République.
Le président François Mitterrand reviendra à la tradition dès 1981 et les Champs-Élysées seront désormais la règle – exception faite en 2024. Plus qu’un défilé militaire, c’est une cérémonie nationale qui, au fil des années, va évoluer pour accueillir de nouveaux détachements, allant des lycées militaires français ou partenaires jusqu’aux forces d’autres ministères comme la police, la justice, la douane, voire la SNCF. Cela permet de rassembler en un même lieu tous ceux qui contribuent à la sécurité des Français, quel que soit l’uniforme.
C’est aussi l’occasion pour la France de rendre hommage ou d’accueillir des personnalités étrangères majeures comme le roi Hassan II du Maroc en 1999, le roi Juan Carlos d’Espagne en 2001 ou encore Donald Trump en 2017. Avec parfois des polémiques comme le président syrien Bachar el Assad en 2008.
L’ouvrage détaille aussi l’ensemble des préparatifs avec les répétitions, la manœuvre logistique complexe permettant d’acheminer vers Paris, troupes et matériels venant de métropole, d’outre-mer et d’États partenaires, avec l’obligation de l’excellence, mais aussi de la convivialité pour partager avec la population. À l’occasion de la fête nationale, c’est également un temps fort de partage avec les blessés et leurs familles, sans oublier celles qui ont perdu un père ou une mère, un fils, un fiancé, une sœur, avec une attention toute particulière pour les orphelins qui méritent le soutien de la Nation, et cela tout au long de l’année.
Cet ouvrage mérite de retenir l’attention car, au-delà d’une iconographie très complète, c’est toute une partie de notre histoire qui défile ainsi et qui permet de mieux comprendre pourquoi aujourd’hui encore, le défilé du 14 juillet reste un événement important de la vie de la Nation et qu’il contribue ainsi à son unité. ♦