Claude Quétel, Professeur d’histoire émérite et ancien directeur de recherche au CNRS, nous propose une nouvelle et nécessaire mise au point sur ce que fut le régime de Vichy, à l’heure où certains voudraient édulcorer la responsabilité de Vichy dans la déroute morale d’une certaine France après la débâcle du printemps 1940. En 18 chapitres courts et bien argumentés, l’auteur balaie un certain nombre de questions qui restent encore d’actualité ou qui suscitent encore le débat, avec la volonté de quelques nostalgiques de vouloir gommer l’indicible et l’insupportable d’un régime qui n’a jamais essayé de résister mais a bien collaboré avec l’Allemagne nazie.
Certes, la littérature sur ce thème est particulièrement abondante et le travail des historiens a permis progressivement de démontrer l’immense responsabilité du maréchal Pétain et de son gouvernement dans la politique de collaboration, allant jusqu’à devancer d’ailleurs certaines exigences de l’Occupant, en particulier autour du statut des juifs et leur déportation vers les camps de la mort, déportation pour laquelle les autorités de l’État français ont trop souvent démontré leur excès de zèle. Là encore, l’auteur rappelle certains faits comme l’indifférence du vieux Maréchal sur la question juive ou encore sur son aveuglement face à Hitler. Celui-ci n’avait aucune intention de collaborer avec la France de Vichy et de lui donner un rôle spécifique dans une Europe sous la tutelle nazie, mais bien de tirer le maximum de la vache à lait que constituait le pays totalement occupé à partir de novembre 1942.
Autre question centrale : le pétainisme est-il un fascisme ? pour l’historien, pas totalement mais il y a une fascisation progressive et irréversible du régime, d’autant plus qu’à partir de novembre 1942, la présence nazie concerne tout le territoire, accentuant la division entre la France résistante et celle qui s’enfonçait chaque jour un peu plus dans la Collaboration, au point de voir certains Français porter l’uniforme de la Waffen-SS. Cette dimension politique reste essentielle à aborder encore aujourd’hui où le débat public très vif de ces derniers mois fait beaucoup trop de raccourcis sur ce qu’est le fascisme aujourd’hui. Là encore, il est important de se replonger dans cette période douloureuse de notre histoire pour ne pas tout confondre.
Un chapitre porte sur le cinéma français durant l’Occupation et son statut très particulier, certains considérant qu’il a vécu un âge d’or, bénéficiant de moyens et s’appuyant sur une production de qualité et en quantité avec l’assentiment de l’Occupant, au risque d’une compromission très forte du milieu, n’hésitant pas à aller en Allemagne, flatté d’être reconnu par les nazis. Rares ont été les Résistants dans le cinéma comme Jean Gabin, véritable héros de guerre et qui, lui, a combattu comme marin et chef de char jusqu’à la capitulation allemande. Mais d’autres vécurent sans état d’âme la période, au risque de subir à juste titre la réprobation à la Libération.
L’auteur porte aussi son regard sur la délation pratiquée sur une grande échelle où les motivations allaient de la jalousie d’individus prêts à tout pour assouvir leur haine du voisin jusqu’à ceux qui agissaient par idéologie, en particulier pour dénoncer les juifs. Pour cela, la police devenue nationale sous le régime de Vichy a joué un rôle très ambigu, étant un des nouveaux piliers de l’État français. Sa collaboration institutionnelle avec la Gestapo et les autres services nazis a hélas permis une répression dramatique envers ceux qui résistaient, sans oublier les rafles des juifs comme celle du Vel d’Hiv. Même si de nombreux policiers et gendarmes surent préserver l’honneur en résistant.
Il est certes facile de refaire l’histoire mais, là encore, l’historien s’interroge à juste titre sur la fin du régime de Vichy avec son élimination à partir d’août 1944 et l’Épuration, plus ou moins maîtrisée entre l’Épuration sauvage où les résistants de la vingt-cinquième heure se laissèrent aller à leurs bas instincts et l’Épuration légale marquée par les procès du Maréchal Pétain et de Laval notamment, trop vite instruits et conclus.
À l’heure du 80e anniversaire de la Libération, un livre utile, facile à lire qui, en remettant les idées à plat, permet de mieux comprendre l’échec du régime de Vichy, incapable de comprendre la réalité de l’Allemagne nazie, s’appuyant sur un vieux Maréchal, certes diminué intellectuellement mais imbu de sa personne et dont l’entourage sut flatter sa vanité. Un naufrage individuel et, donc, collectif.