Dans la mémoire collective française de la Seconde Guerre mondiale, Dunkerque évoque l’Opération Dynamo entre le 27 mai et le 4 juin 1940 quand, face à la Blitzkrieg de la Wehrmacht, déclenchée le 10 mai, le Corps expéditionnaire britannique et une partie des forces françaises, bien qu’encerclés, parviennent à embarquer et éviter ainsi la capture. La Royal Navy, la Marine nationale et des dizaines de bateaux civils ont ainsi arraché 339 000 soldats dont 123 000 Français. Certes, il ne s’agissait pas d’une victoire mais l’exploit militaire est resté gravé, même si, au final, cela n’empêcha pas la France de devoir demander l’armistice quelques semaines plus tard. De fait, à partir du 4 juin, Dunkerque, qui avait subi de nombreux bombardements de la part des Allemands, allait être occupée et cela jusqu’au 9 mai 1945.
Là aussi, la Libération de Paris le 25 août 1944 a occulté le fait que la présence allemande s’est poursuivie notamment dans le quart Nord-Est. C’est ainsi que Strasbourg n’est libéré que le 23 novembre et il faudra attendre le mois de décembre pour que les derniers forts encerclant Metz ne tombent aux mains des Alliés.
Là encore, il fallut attendre les tous derniers jours de la guerre pour que les dernières troupes allemandes ne capitulent. En effet, dès la fin de l’été 1944, Hitler ordonna de constituer des forteresses autour de plusieurs ports français et celles-ci durent être assiégées durant de longs mois. Les « poches » de l’Atlantique furent les dernières à être ainsi libérées.
Royan, la pointe de Grave et l’île d’Oléron ne cédèrent qu’en avril 1945 sous les coups des forces françaises. Pour les autres poches, Lorient, La Rochelle et Saint-Nazaire, il fallut attendre les lendemains de la capitulation allemande, le 8 mai, pour que celles-ci retrouvent leur pleine liberté.
Et il en a été de même pour Dunkerque qui, de ce fait, fut la ville française qui connut la plus longue occupation par les Nazis. D’où l’intérêt majeur du travail proposé ici sur le siège du port du Nord de la France. Très vite, l’intérêt militaire de la reconquête de celui-ci ne s’impose plus aux Alliés, d’autant plus que Calais a repris du service à partir du mois de novembre et que le port belge d’Anvers est lui aussi reconquis et redémarré en novembre, malgré l’échec de l’Opération Market Garden en septembre. Dès lors, il s’agit pour les Alliés de bloquer la garnison allemande et de l’empêcher de nuire, en attendant sa capitulation. Or, celle-ci n’interviendra que le 9 mai, en raison de l’intransigeance et de l’entêtement du vice-amiral Friedrich Frisius (1895-1970) dont l’aveuglement et sa soumission servile au Führer ne firent qu’accroître les souffrances de la population civile française et augmenter les pertes militaires allemandes sans pour autant influer sur la chute du Reich. Alors même que celle-ci était de plus en plus perceptible après l’échec de la contre-offensive nazie dans les Ardennes en décembre, l’amiral commandant la « Festung » de Dunkerque – un quadrilatère de 20 km sur 8 km – ne chercha pas à temporiser mais, bien au contraire, à contre-attaquer le dispositif d’encerclement principalement tenu par des troupes canadiennes, tchécoslovaques et françaises. C’est ainsi qu’il décida de lancer une attaque le 10 avril, surprenant les assiégeants mais insuffisante pour renverser une situation tactique qui était de toute façon sans espoir.
Historien et ancien directeur général du Mémorial Charles-de-Gaulle à Colombey de 2014 à 2018, Mathieu Geagea décrit également les difficiles conditions de vie de la population civile dans une ville déjà fortement endommagée en 1940 et qui l’est à nouveau durant le siège. Certes, il y eu des trêves ayant permis l’évacuation d’une partie de celle-ci. Cependant, de nombreux habitants firent le choix de rester, espérant une libération rapide au regard de ce qui se passait sur le territoire national et préférant encore rester chez eux malgré la précarité et l’incertitude des combats. Le rôle des autorités locales et du clergé ne fut pas négligeable pour essayer d’alléger les contraintes croissantes de l’occupation nazie allant jusqu’à l’internement derrière des barbelés.
Il fallut attendre le suicide du Führer le 30 avril 1945 et son annonce par la radio le 1er mai pour que le commandant de la place forte commence à s’interroger sur le devenir de sa garnison. Frisius se considère comme invaincu et consent à déposer les armes après des discussions engagées le 8 mai. Là encore, son intransigeance se traduisit par une attitude arrogante et hautaine à l’égard du commandement allié au moment de la reddition. Prisonnier de guerre, il fut envoyé en Angleterre dans un camp d’internement jusqu’en 1947 avant de partir quelques années en Amérique du Sud, au Chili, jusqu’en 1970 avant de rentrer en Allemagne, peu de temps avant son décès.
Libérée le 9 mai, Dunkerque a été occupée durant quatre ans, onze mois et cinq jours, un record douloureux pour cette ville et qui de plus, était particulièrement détruite avec environ 90 % de ses immeubles et de ses bâtiments industriels endommagés ou en ruine. Sans compter le port systématiquement détruit par les nazis avec plus d’une centaine d’épaves coulées et bloquant les accès maritimes. Et pourtant, malgré la longueur du drame, la reconstruction démarra très vite, s’appuyant sur l’expérience acquise avec les autres villes portuaires comme Brest ou Le Havre également rasées mais libérées plus tôt. Dès le 31 août, deux importantes écluses furent remises en service, permettant le redémarrage de l’activité maritime.
La visite, le 12 août 1945, du général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire, marque la fin des épreuves et le retour de l’optimisme lié à la reconstruction. Pour le général, c’est également le souvenir du 18 juin 1940, alors même que les troupes britanniques sauvées de l’encerclement se remettaient à peine de l’épreuve et que la France de Vichy allait s’enfoncer dans le déshonneur de la Collaboration.
En ce quatre-vingtième anniversaire de l’année 1944, il reste important de bien conserver en mémoire que la guerre ne s’est pas arrêtée là, mais bien qu’elle se soit poursuivie jusqu’au 8 mai 1945 sur le territoire métropolitain et même au-delà avec l’Indochine avant la capitulation japonaise le 2 septembre. L’histoire de la poche de Dunkerque, sans oublier celles des autres « Festung » traduit aussi l’aveuglement du commandement nazi, croyant encore à une victoire possible. Avec une population française coincée au milieu des ruines. C’est aussi le rappel de l’importance des ports comme carrefours stratégiques indispensables à la conduite de la guerre. Paradoxe de l’histoire, même si cela ne concerne pas directement Dunkerque mais la reconstruction de la ville du Havre par Auguste Perret a valu son inscription en 2005 au patrimoine de l’humanité par l’Unesco. Et si Dunkerque a également beaucoup souffert, là encore, la cité de Jean Bart a su retrouver son lustre d’antan et mérite le voyage.