On est dans Kafka ! Voici un colonel de gendarmerie filé et, au terme d’une arrestation rocambolesque en plein Paris, battu et emprisonné à la Santé. Le lecteur, intrigué, se demande jusqu’à la dernière page pourquoi (sinon de très vagues accusations de divulgation de secret) et reste sur sa faim.
La carrière a été normale, voire exemplaire, et, grâce à de fréquents retours en arrière, son récit nous vaut des témoignages intéressants tant sur les unités de montagne que sur l’imbroglio libanais ou la blanche métropolitaine. Aussi bien n’est ce pas en grimpant dans le Vercors comme patron de la compagnie départementale de La Mure après s’être fait sacrer à Chamonix, ni en faisant le guet en haut des immeubles délabrés de Beyrouth, ni en prenant en charge le département des Yvelines auprès du préfet Érignac, que ce Saint-Cyrien, sorti dans un bon rang et breveté, a mérité de se retrouver dans un cul-de-basse-fosse. Il faut donc chercher, au tournant du siècle, dans la mission, courte mais intense, accomplie au Kosovo.
Dans ce pays pauvre et gris, ce micro-État où se débat Bernard Kouchner, dans ce « marécage juridique » où fleurissent tous les trafics, ce terrain de chasse de « rambos baroudeurs avec bimbos ornementales », ce défilé de personnalités venant se montrer le temps d’une escale, cette tour de Babel où chaque pays intervenant apporte son mode de raisonnement, le rôle de notre homme n’est pas d’une clarté évidente. Mais son tempérament hyperactif le voit sans cesse sur le terrain en compagnie d’une jeune interprète aussi charmante que polyglotte et avec peu de sympathie pour les Serbes qu’il trouve « pris soudainement d’un nationalisme revanchard, hégémonique, dominateur » affiché sous le portrait du « tyrannosaure » Milosevic.
À dénoncer hautement les ordres contradictoires, à se rebeller contre les promesses non tenues, à proclamer que la réalité de l’ONU n’est que « l’esbroufe et la parlote », à s’énerver des références à la chrétienté, il n’est pas étonnant que la mission ne soit pas prolongée. Si l’on ajoute que l’intéressé a toujours pris parti contre les mesures de parité avec la police et qu’il proclame « l’urgente nécessité de mettre en place des syndicats dans les armées professionnelles », sans doute ne faut-il pas s’étonner outre mesure du traitement infligé.
Déçu par les réalités, sans nul doute sincère, exposant ses idées dans un style agressif, cinglant et parfois argotique, ne trouvant dans sa direction que « lâcheté, inconséquence, encroûtement », le colonel Méchain a peut-être négligé certaines règles qui assurent une carrière sans histoires. Primo, même si on est persuadé d’avoir raison contre les pratiques en vigueur, le proclamer avec mesure car la hiérarchie déteste les remises en cause brutales. Secundo, à défaut on est le dernier à découvrir sa disgrâce dans le regard des chers camarades compatissants.