Un ouvrage iconoclaste proposant une relecture critique de l’histoire contemporaine française, voilà ce que nous propose Philippe Nemo. S’ingéniant à déconstruire le mythe unitaire de la Révolution Française, le célèbre « bloc » de Clemenceau qu’il faudrait accepter ou rejeter dans son intégralité, l’auteur choisit de le diviser. Il y aurait eu deux révolutions distinctes à la fin du XVIIIe siècle en France à partir desquelles deux idéaux-types peuvent être dégagés.
D’une part la Révolution constructrice de « 1789 », avec la démocratie libérale et l’état de droit comme modèle de société, le libéralisme comme projet politique, le suffrage universel et les droits de l’homme comme idéaux, les Lumières et le rationalisme critique comme filiation intellectuelle. Les Orléanistes, Bonapartistes, Républicains modérés puis les courants chrétiens et sociaux-démocrates en seraient les thuriféraires.
D’autre part la Révolution destructrice de « 1793 », fortement teintée de rouge, totalitaire, socialisante, nivelant par le bas, prenant ainsi en tous points le contre-pied de la première. C’est celle de la gauche jacobine radicale et des communistes qui débuta par la Terreur, se prolongea par la Commune de 1871 et pérennisera son œuvre grâce au « catéchisme laïciste » du Grand-Orient de France de l’Ordre maçonnique et de son bras armé, l’Éducation nationale.
Ces deux Révolutions ont accouché de deux conceptions antagonistes de la République qui s’affrontent et divisent la société française depuis plus de deux siècles. Jetant son grain de sable dans la machine manichéenne de l’Histoire officielle, introduisant de la complexité dans les courants, les camps et les luttes politiques, l’auteur substitue son propre clivage « 1789/1793 » à la dichotomie classiquement admise des « Républicains/Royalistes ».
Il déconstruit alors les cinq mythes que la tradition nous a transmis. C’est ainsi que la gauche jacobine radicale aurait été démocrate, alors que Nemo considère qu’elle s’est appuyée sur l’émeute pour arriver au pouvoir ; qu’elle aurait fait naître la République, alors que la maïeutique s’est effectuée entre les républicains modérés et les royalistes ralliés ; qu’elle aurait été laïque, alors qu’elle a substitué sa religion millénariste universelle et téléologique à la foi catholique ; qu’elle aurait été dreyfusarde, alors qu’elle a longtemps été antisémite ; qu’elle aurait seule résistée aux Nazis en 1941 alors qu’elle a fourni en abondance l’Administration de Vichy. Le sixième mythe conclusif prend alors la forme d’un sophisme : tous les véritables républicains sont de gauche.
Cette force idéologique non démocratique ne constitue dans les faits qu’une minorité active, s’appuyant sur l’émeute de rue et les faiblesses du petit peuple plébéien ignorant afin d’imposer ses vues au nom du bien commun. Le non-respect de la voix populaire, le déni de démocratie que l’on retrouve dans la peur du suffrage universel et la contestation de la légitimité démocratique trouvent ici une explication. Elle résiderait dans le caractère millénariste des Jacobins de 1793 et de leurs successeurs de 1830, 1848, 1871 puis du parti communiste, mêlant à la fois philosophie et théologie. Fourrier d’un nouveau monde, « avant-garde de l’armée marchant pour la délivrance du monde entier », guides éclairés par le savoir absolu, auto-désignés protecteurs des intérêts publics, ces hommes haineux se considèrent élus par la grâce du progrès qu’ils appellent de leurs vœux.
Le propos de Philippe Nemo constitue alors peut-être la meilleure illustration de sa propre thèse. Il tombe, en effet, parfois à son tour dans une forme de manichéisme belliciste, diabolisant un adversaire flétri de formules avilissantes itératives, châtié par une plume sévère et aiguisée. Cette gauche serait porteuse de toutes les maladies qui « étouffent la société » et gangrènent sa vigueur ; ce mépris flagrant empoisonne parfois le propos et en tarit la sève. L’auteur regarde à son tour l’Histoire au travers de son prisme idéologique ; un anticommunisme patent transpire des murs de cette construction conceptuelle dans laquelle il s’enferme pour mieux consommer son « opium intellectuel libéral », rugissant avec acharnement un « Ni Marx, Ni Maître ».
Néanmoins, il est incontestable que l’auteur fait preuve d’une grande rigueur historique pour étayer son propos, convoquant et décortiquant un à un les cinq mythes fondateurs qui permirent à la gauche de s’approprier la glorieuse Marianne. Longtemps balbutiante, naviguant entre le crime et le vice, la République n’est donc pas Une et Indivisible mais Double et Belliciste. Thèse audacieuse et clivante, égrainant arguments clairs et précis, étayée de surcroît par une multitude d’exemples convaincants, elle puise dans notre capacité à chercher la vérité contenue dans la pensée de l’adversaire afin de féconder notre propre pensée progressiste. L’habileté de Nemo amène ainsi finalement le lecteur sur le chemin de la réflexion : l’Histoire de France serait-elle un film déroulant ou au contraire un montage scénique d’épisodes indépendants ? Faut-il une loi de séparation entre cette Église de gauche et l’État ? La fracture de la Révolution est-elle toujours ouverte ? Questions profondes, réponses complexes, ouvrez donc ce livre pour éclairer votre lanterne républicaine...