À propos de l’Indochine, Paul Rignac avait déjà dénoncé avec véhémence « les mensonges de l’anticolonialisme » face aux « professionnels de la repentance ». Il revient ici sur le sujet de façon moins idéologique, plus technique pourrait-on dire, sous la forme originale de réponses assez courtes, mais solidement argumentées, à une quinzaine de questions.
Les erreurs commises sur place par l’ancien colonisateur furent multiples. En particulier, nous avons sans doute sous-estimé, d’une part l’aspiration profonde des peuples de cette région à l’indépendance, d’autre part leur capacité non au développement intellectuel (qui étaient reconnue) mais à l’acharnement dans la poursuite de leurs objectifs. « La petite taille et l’aspect parfois juvénile » des intéressés ont peut-être contribué à cette erreur d’analyse. Nous avons aussi mal mesuré la nature intransigeante de la guerre révolutionnaire qui nous était imposée, étrangère à tout compromis. Sur le terrain, à partir de nos expériences en guerre classique et des moyens adaptés à celle-ci, n’opposant que la lourdeur et la « visibilité » de nos forces à la mobilité de l’adversaire, nous nous sommes soit dispersés dans une multitude de petits postes fragiles, soit lancés pour un « bilan dérisoire » dans des opérations de ratissage « aussi ruineuses qu’inutiles », pour adopter in fine une stratégie hasardeuse de camps retranchés qui ne nous a rapporté que des succès défensifs et s’est terminée par le drame de Dien Bien Phu. Pour notre part, nous n’avons relevé ici qu’une seule exagération frisant la galéjade : « Le Viêt-Minh a acquis, à partir de 1949, une artillerie comparable à l’artillerie française » (page 54)… et même qualifiée de « lourde » (page 61). Que Sainte-Barbe vienne à notre secours ! Question de définition peut-être…
Sur tous ces points, l’auteur évite les jugements de caractère polémique ; il ne met jamais en cause la valeur des hommes du corps expéditionnaire et il se garde d’accabler des cibles faciles comme Thierry d’Argenlieu ou Navarre. Aurions-nous pu multiplier les Vandenberghe ? L’ensemble est présenté et confirmé dans une préface concise (tout en soulignant « l’extrême diversité » du sujet) du général Simon Guy, âme de l’ANAI et bon connaisseur du sujet vu de l’intérieur.
Cette guerre ne pouvait sans doute être gagnée, au sens classique du terme. Mais c’est la lointaine métropole qui la mena de façon incohérente et porta la plus lourde responsabilité. L’épuration de l’administration Decoux, accompagnée de la « mise au ban de la nation » des Français d’Indochine, eut un effet désastreux. Par la suite, l’absence (ou l’évolution) de buts de guerre précis dans la ligne de l’amateurisme chronique de notre politique coloniale, la valse des hauts-commissaires et celle quasi annuelle des commandants en chef au rythme de l’instabilité gouvernementale propre à la IVe République, la pression d’un parti communiste puissant à l’époque, l’opacité des rapports avec un Bao Daï à la « personnalité complexe », l’indifférence enfin et quelquefois l’hostilité de la population de l’hexagone… Tous ces facteurs annonçaient l’échec.
La lecture de ce livre laisse une impression de tristesse, décrite par la dernière phrase : « L’abandon de 1954 fut plus qu’une défaite, ce fut un déchirement sentimental et une tragédie humaine dont l’armée française allait porter très longtemps les stigmates ».