Le clin d’œil est évident et rappelle les allées et venues de l’Afrika Korps et de la VIIIe Armée, ainsi que plus modestement un célèbre film. Il n’est toutefois ici guère question de Tobrouk : Benghazi et la Cyrénaïque sont dès le départ les foyers d’une contestation encouragée par les précédents tunisien et égyptien et ce n’est pas là qu’on va se battre. Point de taxis non plus et, en fait de panzers du côté des insurgés de pittoresques véhicules cabossés, bricolés en automitrailleuses et montés par des « amateurs novices à l’air féroce et juvénile ».
L’auteur a pris le parti ambitieux de réaliser une sorte d’éphéméride relatant les événements jour après jour sur 8 mois, du 15 février au 25 octobre 2011, sans en omettre aucun et passant en revue le détail des mouvements des protagonistes, les pertes humaines, les réactions étrangères et les frappes alliées. Travail considérable, mais aussi tâche redoutable pour le lecteur consciencieux invité à absorber la lente évolution quotidienne des opérations et l’énumération des bilans. Et ceci même si le ton du récit se fait parfois alerte et si, sous des prétextes plus ou moins futiles, on cite Churchill et Clemenceau, quand ce n’est pas Stendhal ou Vauvenargues ! Quant à identifier Syrte à Stalingrad, c’est un peu osé, quitte à reconnaître que les combats de rue y furent plus acharnés qu’ailleurs et que c’est dans cette ville que le régime connut son chant du cygne.
ONU (où le Conseil de sécurité fait face au début à « un casse-tête sans logique et sans solution »), Otan, Union européenne, le monde est en effervescence. Les responsables américains, français et britanniques souhaitent à haute voix le départ du dictateur libyen et de sa nombreuse progéniture, qui n’ont plus guère comme soutiens affirmés que « la Guinée équatoriale, le Tchad et la Bolivie ». Encore faut-il rechercher des formules éventuelles d’exil, tandis que la Cour pénale internationale évoque des crimes contre l’humanité. Turcs et Russes sont réticents, les Allemands ne sont pas enthousiastes et Al Jezeera règne sur l’information. Les diplomates s’affairent, on reconnaît peu à peu le Conseil national de transition (CNT), et on cherche à « traduire du Longuet en français ».
Une fois décrétée la zone d’exclusion, les avions alliés (y compris en petite quantité canadiens, belges, norvégiens, danois…) déclenchent leur « sarabande infernale » en essayant de réduire les inévitables bavures reconnues du bout des lèvres. Si la défense aérienne libyenne est rapidement mise hors de combat, l’affaire nous coûte très cher, vide les stocks de munitions, pose des problèmes de compatibilité et suscite des interrogations sur le devenir des armes parachutées.
Sur le terrain, les opérations se déroulent non seulement le long de la côte, mais aussi dans les djebels à la topographie compliquée de l’intérieur. Vis-à-vis du pouvoir, les défections se multiplient, compensées en partie par l’engagement de mercenaires africains. La pratique des boucliers humains, l’emploi généralisé des snipers, la fourniture massive de viagra destinée à décourager les dames rebelles sont des procédés courants chez ceux qui ont droit au beau nom de « loyalistes ». Chez les insurgés, le commandement manque de rigueur et la stratégie d’unité. Le pillage des cavernes d’Ali Baba où s’étalent les richesses inouïes accumulées pendant les décennies d’un règne sans partage est tentant. Des réfugiés tentent de gagner la Tunisie, Lampedusa ou Malte en dépit des risques de naufrage.
La traque s’achève par le massacre ignominieux de ce singulier personnage que fut Mouammar Kadhafi et la ruée des hommes d’affaires au nom de la gestion pétrolière et des besoins de la reconstruction. « Victoire amère », acquise au prix de dizaines de milliers de morts, n’excluant pas les luttes ultérieures de pouvoir ni l’action « d’imams à longue barbe noire » aptes à tirer les marrons du feu.