Traduit en 2011 seulement et préfacé par le regretté Professeur Hervé Coutau-Bégarie, cet ouvrage a été publié en 1996 par un chercheur universitaire des États-Unis, un civil. L’un des intérêts de ce livre, c’est d’abord le regard que porte un civil sur un problème majeur de la guerre aujourd'hui. Certes, Robert Pape est un civil mais fort versé dans la chose militaire (Cf. cours de relations internationales au Dartmouth College et stratégie aérienne à l’USAF School of Advanced Airpower Studies).
Ici, il étudie la « dynamique de la coercition militaire [et] s'interroge sur les raisons pour lesquelles certains États décident de changer leur comportement sous la menace militaire et d'autres non », en s'intéressant surtout à la coercition par la puissance aérienne. Ainsi, par l'étude de la menace militaire du passé, Pape espère en prévoir dans le futur le résultat en fonction des conditions initiales et du type de menace (nucléaire, conventionnel, mixte) afin d'aider les décideurs politiques à venir dans leur choix face aux menaces.
L'ouvrage se divise en neuf chapitres. Dans les trois premiers, Pape pose le problème de la coercition militaire, en donne sa définition et explique « comment identifier les stratégies de coercition aérienne à partir des actions militaires de l'agresseur, comment mesurer leur succès et comment les stratégies majeures furent développées ». Les grandes théories du bombardement stratégique sont décrites, en partant de celle de l’Italien Giulio Douhet (1869-1930). Puis cinq chapitres traitent en profondeur, et dans « l'optique » de Pape, cinq cas célèbres – de l'Allemagne (1942-1945) à l'Irak – (1991). Un appendice présente 33 cas d'emploi de la coercition, de 1917 à 1991. Les cas décrits s’arrêtent aux années 1990, car Pape n’a ni complété ni mis à jour son travail, s’étant désintéressé de ce sujet depuis. Aussi, la postface écrite par le traducteur est-elle la bienvenue, offrant une sorte de mise à jour du livre.
Le livre est rédigé comme un travail universitaire, d’une facture très sérieuse et très documentée, la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide ayant permis l'accès à certaines archives classées auparavant au minimum secret défense. Si la lecture du texte est parfois un peu rébarbative, la manière dont Pape traite le sujet est intéressante car elle oblige le lecteur à réfléchir, les ouvrages plus classiques tendant plutôt à « imposer » idées et/ou conclusions. Le texte de Pape permet de penser l'avenir du bombardement stratégique, avenir qui change avec les progrès techniques, la disparition d'un monde bipolaire et l'apparition, plus exactement le retour, des guerres asymétriques et autres guérillas. Même le retour des blocs n’est pas chose impossible dans le futur.
Excellente source de réflexion pour le spécialiste comme pour le béotien, « Bombarder pour vaincre » est donc à lire par tous ceux qui s’intéressent au bombardement stratégique et son histoire, que l'on soit ou non d'accord avec les thèses de Pape. Le livre de Pape restera, n'en doutons pas, un ouvrage de référence encore bien longtemps, il le mérite.