Aéronautique - Les navettes spatiales - Avions télépilotés - Le Salon de Farnborough - Le Hawker Siddeley Harrier
Les navettes spatiales
Les navettes spatiales, qui ont déjà fait l’objet de nombreuses études, sont en passe de devenir l’objectif majeur de la National Aeronautics and Space Administration (NASA), en raison des restrictions de crédits touchant le programme Apollo au cours des prochaines années. Le semi-échec du dernier lancement Apollo et le développement de la conquête de l’Espace semblent inciter les États-Unis à accélérer la mise au point de ces navettes afin de pouvoir disposer à un moindre coût de moyens plus importants pour poursuivre l’exploration de l’Espace tant vers la Lune que vers les autres planètes.
En effet, les navettes spatiales, véhicules de liaison et de transport entre la Terre et une orbite terrestre, sont les éléments indispensables à l’édification de stations orbitales dont la mise en service est prévue avant 1980. Le choix de cette formule d’aéronefs récupérables devrait se traduire par des économies substantielles et limiter le gigantisme des véhicules lanceurs tant pour la construction de laboratoires spatiaux importants que pour l’exploration des planètes lointaines.
Les études entreprises par la NASA ont été partagées en quatre phases :
– phase A, pratiquement terminée, concernant les études préliminaires de « faisabilité » ;
– phase B axée essentiellement sur la conception générale de la navette et de son moteur ;
– phase C visant le choix et la mise au point des différents sous-ensembles ;
– phase D, la plus longue, comprenant le développement final de l’engin avec les essais au sol et en vol.
Des délais de réalisation extrêmement courts marquent le vif désir de la NASA d’aboutir rapidement afin de reprendre avec des moyens accrus la conquête de l’Espace. La phase D, qui devrait aboutir vers 1978, doit commencer au printemps 1972, ne laissant qu’un an aux mises au point élémentaires.
Le coût global du projet est évalué à 10 milliards de dollars (on parle déjà de 14 Md), tandis que le programme Apollo aurait coûté 25 Md $.
Après avoir envisagé plusieurs navettes de type et d’emploi différents, la NASA semble avoir fixé son choix sur une plateforme capable de transporter une vingtaine de tonnes sur un trajet « Terre-orbite terrestre » à l’aller comme au retour. Ce type de navette n’est qu’un premier élément ; les moyens de transport complémentaires comprendront des navettes « orbite terrestre - orbite lunaire » des navettes inter-stations orbitales ou même des navettes de liaison « Lune - orbite lunaire ».
Parallèlement à la réalisation de la première navette, il est question de construire une mini-navette capable de satelliser environ 4,5 tonnes qui servirait à la mise au point de l’engin opérationnel et qui pourrait voir le jour vers 1974-1975.
À l’issue de la phase A, il est maintenant possible de dégager certaines caractéristiques de la future navette : ce sera un véhicule à deux étages, tous deux récupérables et réutilisables au moins cent fois, à décollage vertical et atterrissage horizontal. Le premier étage servira de « booster » au second qui sera le véhicule orbital. Chacun aura un équipage de deux hommes, avec pour la partie orbitale une charge utile de 22 à 23 t dont dix passagers. Les propulseurs principaux seront cryogéniques (hydrogènes et oxygène liquides) tandis que des propulseurs secondaires permettront le retour à l’aéroport et les manœuvres orbitales.
La « manœuvrabilité » latérale donne encore lieu à des discussions ardues entre la NASA et l’armée de l’air américaine (USAF) car elle implique un angle de rentrée dans l’atmosphère plus ou moins grand. Une marge de manœuvre de 500 km semble suffisante à la NASA alors que les militaires préféreraient quelque 2 000 km, distance offrant un plus grand choix pour l’atterrissage et une sécurité accrue. La navette disposera d’un système intégré et autonome de navigation, pilotage et contrôle permettant de se dispenser d’une base au sol coûteuse comme celle de Houston.
La remise en œuvre d’une capsule ne devra pas excéder huit jours afin de permettre un lancement par quinzaine. Sachant que les accélérations ne devront pas dépasser 3 à 4 g et que la fiabilité exigée est de 99 % en raison d’une présence humaine à bord, on aura une idée des problèmes techniques et technologiques à résoudre.
De nombreuses solutions ont été envisagées faisant appel à une aile droite, en delta, à géométrie variable, fixe ou repliable. L’objectif assigné à la phase B du programme est de fournir deux configurations concurrentes répondant aux différents critères. Après un certain nombre de regroupements industriels, McDonnell Douglas et North American Rockwell présenteront les projets de cellules tandis que les moteurs font l’objet de rivalités entre Aerojet General, Pratt & Whitney et Rocket Dyne.
Ce programme de navette spatiale intéresse particulièrement les militaires en raison des nombreuses possibilités qu’il pourra offrir dans l’avenir. Sans préjuger de leur réalisation, on peut énumérer un grand nombre d’applications appelées à révolutionner les conceptions en matière de défense : vaisseau défensif armé contre les missiles stratégiques ou contre les fusées orbitales, neutralisation de satellites espions, engins de détection et surveillance de la surface terrestre et des activités aériennes, contrôle des satellites de toute nature, support logistique des stations orbitales, moyens de secours des engins spatiaux en difficulté. Au sens strict du terme, les navettes spatiales n’apparaissent pas en contradiction avec les principes du traité sur la dénucléarisation de l’Espace mais n’en ôtent pas moins une partie de sa valeur à un éventuel accord sur la limitation des réseaux de missiles antimissiles.
Sur le plan économique, la navette spatiale, de par son caractère hybride (mi-fusée, mi-avion), devrait offrir d’importants débouchés à l’industrie aérospatiale et, grâce aux progrès réalisés pour sa mise au point, préparer et hâter le démarrage du transport aérien hypersonique de demain.
Avions télépilotés
Il est probable que dans un avenir relativement proche des missions de reconnaissance ou même de combat seront accomplies par des avions dont les pilotes seront soit au sol soit à bord des plateformes de lancement.
Aux États-Unis, aussi bien dans la marine (US Navy) que dans l’Air Force, on se préoccupe activement des possibilités techniques de construire des appareils de combat pilotés à distance afin d’épargner la vie des pilotes. Les partisans de cette nouvelle formule affirment que le niveau technologique actuel permet d’envisager le pilotage instantané d’un avion par un pilote resté au sol ou dans l’appareil de lancement.
En matière de vol sans pilote, il est primordial de faire la distinction entre les vols téléguidés qui correspondent à l’exécution d’un programme à peu près inamovible qui a déjà donné lieu à nombre d’applications (avions cibles, sonde de reconnaissance) et les vols télépilotés qui supposent une intervention continue du pilote réagissant à distance aux paramètres détectés à bord et retransmis par un système à très grande vitesse.
Une étude détaillée des principaux problèmes a été confiée à cinq commissions réunissant des représentants de l’Air Force et de la RAND Corporation sous la direction générale du service du matériel.
Le principal argument ayant présidé au lancement de ces études repose sur un développement accru des moyens de défense antiaériens tandis que le prix des avions pilotés, de plus en plus sophistiqués, ne fait que croître et que l’opinion américaine admet de moins en moins les pertes en vies humaines.
Les excellents résultats obtenus dans le sud-est asiatique par les sondes de reconnaissance renforcent le sentiment sans cesse plus répandu que des engins sans pilote pourraient aisément remplacer pour les missions à risques élevés les avions à hautes performances très coûteux ayant un et parfois deux pilotes (McDonnell Douglas F-4 Phantom II par exemple).
De plus, pour certaines missions, de très fortes accélérations (jusqu’à 30 g) fourniraient les meilleures conditions d’exécution mais n’ont pas été retenues jusqu’à présent en raison d’une présence humaine à bord.
La disparition de l’équipage entraînerait des économies tant dans la conception de l’avion que dans l’entraînement des pilotes. Il n’est pas pour autant envisagé la suppression des pilotes ; ceux-ci seront réservés pour les missions où une présence humaine à bord est indispensable ainsi que pour les missions aux risques jugés minimes ou acceptables.
Parallèlement, se fait jour un courant d’opinion en faveur du moteur consommable. En effet, les missions de reconnaissance, en particulier, donnent bien souvent lieu à une seule sortie. Il serait donc aberrant de faire appel aux moteurs usuels en service, étudiés pour supporter plusieurs centaines d’heures de vol entre révisions, alors que des propulseurs rustiques et bon marché suffiraient sur le plan opérationnel et économiseraient de l’argent qui plus que jamais demeure le nerf de la guerre.
L’intérêt porté aux avions pilotés à distance va de pair avec l’extension des moyens téléguidés de reconnaissance photographique ou électronique et de défense de zone. Un nouveau bureau vient d’être créé dans l’USAF pour coordonner l’activité des engins sans pilote qui ne cessent de se multiplier et de se diversifier, l’un d’eux, très silencieux en dépit de son moteur, étant même capable de détecter et reconnaître les bruits engendrés par des camions ou des chars.
En matière d’aérodynes sans pilote, les principaux projets en cours d’études sont les suivants :
– Comfy Bee : programme répondant aux spécifications des commandements tactiques et stratégiques américains pour un engin de reconnaissance photo graphique et électronique à haute altitude et grande autonomie. Le Ling Temco Vought L450F dont il a déjà été question dans une chronique antérieure (Revue de Défense Nationale, avril 1970) paraît le mieux convenir. Extrêmement simple de construction, il peut être démonté en partie pour un transport par camion jusqu’à un terrain sommaire et dispose du minimum de commandes permettant son convoyage par air sur les grands parcours.
– Hélicoptères de reconnaissance : la Navy a entrepris l’évaluation d’un radar de surveillance monté à bord d’un hélicoptère sans pilote dans le cadre du programme « Gazelle de nuit ». Sur ce même hélicoptère QH-50D ont été montées des tourelles de canons M5 pour étudier la mission d’appui feu. Cet hélicoptère QH-50D en version pilotée a déjà été utilisé avec succès en appui feu ou reconnaissance au Vietnam.
– Firebee : la Navy projette d’utiliser une version d’une sonde de reconnaissance construite par Ryan et déjà opérationnelle dans l’USAF. Cet aérodyne dérivé d’un engin cible passe pour avoir accompli de nombreuses missions de reconnaissance au Nord-Vietnam et même au-delà. L’USAF utilise également d’autres engins, y compris des véhicules plus anciens réalisés par Northrop qui, dans le Sud-Est asiatique, servent de plateformes pour le lancement de sortes de flèches destinées à diriger les mouvements des troupes au sol.
– Luciole : la sonde Ryan type 154, engin de reconnaissance de précision à haute altitude et récupérable, serait actuellement en service dans l’USAF. D’après des révélations faites après l’atterrissage forcé d’un de ces modèles l’été dernier, le Ryan 154 aurait une envergure supérieure à 18 m et serait doté d’un système complexe de navigation Doppler et inertiel. Il est équipé d’émetteurs permettant de le récupérer grâce à des systèmes de guidage aéroportés ou au sol d’une portée de plusieurs centaines de kilomètres.
Des derniers travaux présentés devant l’État-major du Service du matériel de l’USAF, il ressort qu’il est maintenant possible de réaliser la conduite d’un avion à partir du sol jusqu’à son objectif grâce aux éléments détectés en l’air et retransmis au sol par télévision. L’utilisation du radar, du laser ou de l’infrarouge peut également être envisagée.
Les premières conclusions conduisent à penser que les États-Unis ont atteint un niveau technologique suffisant pour de telles réalisations qui, ultérieurement, devraient aboutir à une économie sur les matériels de guerre tout en satisfaisant rapidement le désir de préserver les vies humaines, désir particulièrement vif aux États-Unis et encore exacerbé par les pertes subies au Vietnam qui sont de plus en plus impopulaires.
Une ère technique nouvelle s’offre pour l’aéronautique, génératrice d’immenses progrès prévisibles dans le domaine de l’automation.
Le Salon de Farnborough
Le 27e Salon de l’Aéronautique de Farnborough s’est déroulé du 7 au 13 septembre 1970 sous le parrainage de la Société des compagnies aérospatiales britanniques.
Traditionnellement réservé aux réalisations nationales, ce salon a, sans conteste, perdu une grande partie de l’intérêt qu’il présentait antérieurement à l’époque où la Grande-Bretagne jouait un rôle prépondérant dans l’aéronautique européenne. La prolifération des meetings de classe internationale (Hanovre, Turin, Tokyo) et le déclin marqué de la construction aéronautique outre-manche ont sensiblement affecté l’enthousiasme qui auparavant attirait les foules à l’Air Display.
Cette réunion, telle qu’elle est conçue, se transforme peu à peu en un marché des composants et équipements astronautiques, domaine où la Grande-Bretagne excelle tandis que la partie « spectacle » réservée au grand public fait pâle figure comparée à la démonstration aérienne du Bourget.
Pour meubler une exposition statique encore bien réduite, la Grande-Bretagne a dû faire appel à des appareils dotés de moteurs anglais (Corsair A7 américain, F-28 hollandais, Aermachi italien, Galeb yougoslave) tandis que l’exhibition aérienne doit aux présentations de la Royal Air Force (RAF) la majeure partie de son attrait, en l’absence de réalisations nouvelles purement nationales.
Toutefois, la Grande-Bretagne demeure un motoriste de valeur : un stand Rolls Royce extrêmement fourni tant par ses réalisations antérieures que par ses projets en cours est là pour nous le rappeler et nous en convaincre.
Avions de combat
La vedette en la matière demeure le Hawker Siddeley Harrier dont la version d’entraînement biplace et celle destinée aux Marines américains étaient présentées. Après des décollages très courts ou verticaux et des passages à grande vitesse, deux appareils ont effectué un excellent ballet aérien démontrant amplement leurs qualités en vol stationnaire.
L’avion franco-anglais Jaguar était également présent sous trois versions monoplaces : l’exemplaire de l’aéronavale, qui a participé aux essais à bord du porte-avions Clemenceau, était réservé à la présentation statique avec la panoplie de son armement dont l’AS 37 Martel anti-radar tandis que les versions de combat française et anglaise ont été présentées en vol (le modèle RAF comporte un système de navigation et de conduite du tir plus élaboré).
L’intercepteur tout temps biréacteur Lightning (premier vol en 1957, une centaine d’exemplaires construits pour la RAF) figurait aux côtés du Blackburn Buccaneer, avion d’attaque à basse altitude, utilisé depuis 1963 par la Navy à bord de l’Ark Royal et qui équipe maintenant également la RAF.
L’avion d’entraînement BAC Jet Provost et la version dérivée d’appui au sol BAC Strikemaster sont assez représentatifs d’une solution économique pour qui veut se doter de moyens de combat complémentaires aux performances limitées. Cette formule, attrayante financièrement, était également représentée par deux types d’appareils étrangers dotés de réacteurs anglais Viper ; l’Aermacchi MB-326K italien et le Soko G-2 Galeb yougoslave (dénomination de l’appareil d’appui : Jastreb). Le Corsair A-7D américain, équipé du Rolls Royce Spey ouvrait le spectacle aérien de l’après-midi.
Avions de transport
En dehors du biturbopropulseur Hawker Siddeley dont le premier vol remonte à 1960 et dont les caractéristiques ADAC (avion à décollage et atterrissage court) sont convaincantes, la principale innovation venait du Trident III qui vient d’être doté d’un quatrième réacteur d’appoint installé dans la dérive. Ce moteur dérivé du Rolls Royce RB162, réacteur de sustentation, est destiné à être utilisé au décollage et en montée afin d’augmenter la masse maximum autorisée. Il concrétise la volonté de Hawker Siddeley de maintenir sa place dans le transport à haute densité sur étapes courtes et moyennes face au McDonnell Douglas DC-9 ou à la Sud-Aviation Caravelle XII qui vient de sortir et avant l’arrivée des appareils à grande capacité : Airbus A300B, Lockheed 1011 Tristar, McDonnell Douglas DC-10 et l’éventuel BAC 311.
Indépendamment du BAC III, il faut encore citer un appareil transformé à des fins militaires : le Hawker Siddeley Nimrod dérivé du De Havilland Comet 4 et chargé de la surveillance maritime lointaine.
Dans la gamme des transports équipés de moteurs anglais, le nouveau biréacteur néerlandais Fokker F-28 de 40 à 65 passagers propulsé par deux réacteurs RR Spey a fait une démonstration remarquée. Les aérofreins constituant la pointe arrière du fuselage ont paru particulièrement efficaces et pratiques.
Enfin, certains jours, le prototype anglais du Concorde est venu compléter le programme de présentation en vol.
Avions de liaison
Le Hawker Siddeley 125, rival du Dassault Mystère 20, était présent ainsi que le Grumman Gulfstream II américain équipé de deux réacteurs RR Spey. Dans la gamme des avions légers, on ne saurait passer sous silence la production de la firme Britten Norman avec en particulier l’Islander, doté de deux moteurs Lycoming et le Skyvan, dans ses versions cargo et passagers, dernière réalisation de Short Brothers.
Hélicoptères
Quatre types d’hélicoptères méritent d’être mentionnés : le SH-3 Seaking de conception américaine (Sikorsky) propulsé par deux RR Gnome, les deux coproductions franco-anglaise SA-330 Gazelle et SA-341 Puma, et le Westland Wasp qui donnèrent lieu à une présentation groupée.
Pour avoir une idée complète du spectacle aérien, il faut faire état de la démonstration de la RAF qui a présenté une grande partie de ses matériels en service : English Electric Lightning, Buccaneer, une patrouille de F-4K Phantom II, une formation hétérogène d’avions de transport (Hawker Siddeley Andover, Lockheed C-130 Hercules, BAC III), un bombardier Handley Page HP.80 Victor transformé en tanker avec deux chasseurs en position de ravitaillement suivi à courte distance par un Nimrod, une patrouille de Harrier et enfin la patrouille des Red Arrows toujours équipée de Folland Gnat.
Si en matière de moteurs, de composants et d’équipements, la Grande-Bretagne conserve une place de choix sur le marché européen sinon mondial, l’absence de sortie d’un programme spécifiquement national au cours des cinq dernières années contribue largement au déclin de l’Air display de Farnborough qui fut longtemps l’événement aéronautique de l’année. Les organisateurs, qui en ont conscience, envisageraient, selon certains, de scinder ce salon en deux parties : une exposition de caractère commercial dans le centre de Londres et une démonstration aérienne de moindre durée intervenant plus tôt dans l’année afin de bénéficier d’une météo plus favorable et surtout de précéder les autres salons aérospatiaux européens.
Le Hawker Siddeley Harrier
En tant que seul appareil de combat à décollage vertical opérationnel, le Harrier démontre le haut niveau technique et technologique de la construction aéronautique anglaise qui, pendant les cinq dernières années, n’a certainement pas été exploité au maximum de ses possibilités.
Le Harrier apparaît, d’ores et déjà, comme un succès et le premier représentant d’une nouvelle génération d’appareils aux performances originales.
Avion transsonique d’attaque au sol, le Harrier dérive du P.1127, appareil expérimental dont le premier décollage vertical remonte à octobre 1960. Les premiers prototypes après une amélioration de l’aile et de la puissance du réacteur aboutirent à la définition du Kestrel dont neuf exemplaires furent construits pour une évaluation menée en commun par la Grande-Bretagne, les États-Unis et l’Allemagne entre octobre 1964 et novembre 1965. Seule la Grande-Bretagne étant demeurée fidèle au projet, six appareils de présérie dénommés Harrier Mark I furent livrés à la RAF pour une expérimentation à partir de l’été 1966.
La principale originalité du Harrier réside dans son réacteur à déviation de jet Pegasus construit par la division Bristol de Rolls Royce. Le Pegasus est un réacteur double flux dont l’air chaud et le flux dilué sortent chacun par deux tuyères latérales. Les quatre tuyères sont couplées et peuvent être orientées vers le bas pour le décollage et l’atterrissage vertical ou vers l’arrière pour le vol conventionnel. Elles peuvent également prendre n’importe quelle position intermédiaire offrant ainsi toute la gamme possible de performances STOL. Enfin, la poussée pouvant être dirigée à 20 degrés vers l’avant par rapport à la verticale, le Harrier dispose ainsi pour les atterrissages conventionnels d’un freinage efficace correspondant à une réversion de poussée.
Au cours des phases de transition (passage du vol vertical à la translation par exemple) le contrôle de l’appareil est obtenu grâce à l’émission d’air à haute pression à travers des orifices placés dans le nez, la queue et les bouts d’aile, les valves étant commandées par le manche et le palonnier.
Le Harrier dispose d’un système de navigation et de contrôle de tir très élaboré et très précis lui donnant une grande souplesse dans des conditions extrêmement variées. Les principales informations de vol et de tir sont directement fournies au pilote sur la glace frontale grâce au système « head up display » (lecture tête haute).
L’armement, très varié, bénéficie de sept points d’attache destinés à des canons de 30 mm en nacelles, des bombes de 450 ou 255 kg, des roquettes, des engins air-air, etc.
En respectant un facteur de charge de 7 g sur l’objectif, le Harrier peut emporter une charge militaire de 2,5 tonnes.
L’effort a été porté sur l’allégement et la facilité de la maintenance (un changement moteur peut s’effectuer en moins de cinq heures et une remise en œuvre avec armement complet ne demande qu’une heure).
Pouvant atteindre 1 200 km/h au niveau de la mer et Mach 1,25 à moyenne altitude, monter à 12 000 m en trois minutes et naviguer de façon autonome, le Harrier, de par ses qualités VTOL (Vertical Take-off and Landing aircraft), forme un système d’armes présentant de nombreux avantages en particulier sur le plan du déploiement, de la vulnérabilité, de la rapidité d’intervention et de la capacité tout temps.
La RAF commence à équiper ses premiers escadrons dont l’un vient de s’installer en Allemagne fédérale (RFA). Deux exercices de déploiement et d’opérations à Chypre en cours d’année ont permis d’éprouver les qualités du Harrier qui, si les autorisations de programme proposées sont acceptées, sera construit à 102 exemplaires pour la RAF. Parallèlement, le corps des Marines (USMC) américain en a commandé douze qui seront livrés à partir du début 1971 tandis que dix-huit autres (appellation AV-8A) seront construits sous licence aux États-Unis et bénéficieront d’une version améliorée du Pegasus (10 t de poussée). Enfin, dans le cadre de la transformation des pilotes, dix Mark II biplaces d’entraînement, dont un exemplaire a été présenté à Farnborough, ont été commandés pour la RAF.
Il est bien évident que le décollage vertical entraîne des consommations excessives qui limitent dans une large mesure le rayon d’action. C’est ainsi qu’Hawker Siddeley admet, dans le cas d’un décollage type STOL (ADAC), que chaque pied (30 cm) de roulement économise un gallon de carburant (soit 3,5 kg) ou fait gagner l’équivalent en armement.
Il est loisible de penser que, dans la majorité des cas, on peut disposer d’une plateforme de 300 mètres et qu’un appareil à bonnes performances STOL devrait suffire. Ce serait pourtant méconnaître les immenses avantages que procure la capacité de vol vertical qui, si elle n’est pas encore totalement convaincante en raison du rapport poussée-poids du moteur toujours insuffisant, devrait s’imposer après de nouveaux progrès technologiques.
La Grande-Bretagne avec 7 000 heures de vol sur Harrier et 50 000 manœuvres de décollage ou atterrissage verticaux dispose en la matière d’une expérience et d’une avance technique dont elle paraît, à juste raison, vouloir tirer profit au maximum. ♦