Le réseau des bases aériennes joue un rôle fondamental dans la capacité de l’Armée de l’air à assurer ses missions opérationnelles. La protection de ces emprises doit répondre à l’apparition de nouvelles menaces, notamment dans le secteur des drones.
Les bases aériennes de l’Armée de l’air face aux défis des menaces et opérations futures
Les bases aériennes, et le réseau qu’elles composent, sont de véritables outils de combat qui permettent à l’Armée de l’air de conduire ses missions permanentes ou de projeter, dans des délais très courts, de la puissance ou des forces afin d’offrir au niveau politique la réactivité souhaitée. À ce titre, elles doivent s’adapter aux nouvelles menaces qui pèsent sur elles au même titre que l’ensemble des forces. La répartition sur le territoire national et en opération obéit à des principes qui définissent aujourd’hui le plan de stationnement de l’Armée de l’air.
Lancée depuis plusieurs bases aériennes, dans la nuit du vendredi 13 avril 2018, l’opération Hamilton (1) illustre le caractère primordial de celles-ci dans la préparation et la conduite de toute opération aérienne de grande envergure. Cette opération, comme les actions lancées sous très faible préavis en 2013 au Mali, met en exergue l’importance de ce réseau pour la puissance aérienne, démontrant sa pertinence et son efficacité.
La base aérienne de nos jours
Le Code de la défense (2) définit une Base aérienne (BA) comme le lieu de stationnement des forces ainsi que des moyens de support et de soutien répartis en unités. Mais la BA n’est pas uniquement une notion administrative. Elle est à la fois une plateforme de combat, un aérodrome à partir duquel s’exécutent simultanément les missions opérationnelles de l’Armée de l’air (3), un lieu d’entraînement et de maintien en condition des forces aériennes, et un lieu de vie des aviateurs.
Ses fonctions sont donc multiples, ce qui lui confère une place centrale dans l’organisation de l’Armée de l’air comme le soulignait le général d’armée aérienne André Lanata, ancien Chef d’état-major de l’Armée de l’air (CEMAA) : « Pour cette raison, le fonctionnement en bases aériennes constitue la clef de compréhension de l’organisation de l’Armée de l’air, et la base aérienne constitue une partie intrinsèque de l’outil de combat de l’Armée de l’air. Le réseau de nos bases constitue en effet le maillage indispensable à la réactivité, à la permanence et la résilience de nos actions. » (4).
Plus largement, les BA contribuent à la résilience de la Nation, en prenant part à la gestion de crise et au rétablissement des fonctions indispensables à la continuité de l’État, comme en atteste le rôle joué par le réseau des bases lors d’événements majeurs, comme les catastrophes naturelles. Ainsi, après l’ouragan Irma (2017), l’Armée de l’air a mis en place très rapidement des moyens au profit des populations sinistrées, a acheminé du fret en masse et a permis les évacuations nécessaires, en s’appuyant notamment sur la BA 367 de Cayenne. Les bases aériennes constituent également des zones protégées où les moyens publics et services de l’État peuvent temporairement trouver refuge comme ce fut le cas à Évreux lors des émeutes de 2005 avec la mise à l’abri des bus de la ville.
Le réseau des bases aériennes : les principes du plan de stationnement
La répartition géographique des BA repose sur un plan de stationnement qui obéit à plusieurs principes, au-delà du poids de l’Histoire. Ce plan doit d’abord permettre d’assurer la tenue des contrats opérationnels permanents.
La dissuasion nécessite de disposer de sites permettant la résilience des forces via la dilution des moyens et la redondance des plateformes comme des centres opérations. Certains d’entre eux sont durcis et enterrés. Cela concerne également un grand nombre de sites dédiés à l’implantation de moyens de communication redondants et hautement sécurisés.
La défense aérienne du territoire, par l’intermédiaire de la Posture permanente de sûreté aérienne (PPSA), impose la détection de toute menace aérienne et le déclenchement immédiat de mesures de réaction grâce à une surveillance de l’espace aérien. Cette surveillance repose sur un maillage global du territoire national par des stations radars et radios reliées aux centres de contrôle et au commandement des opérations aériennes. Ce maillage doit tenir compte des réalités physiques et géographiques des territoires à protéger, et nécessite donc la création de nombreux sites isolés, généralement positionnés sur des points hauts, et rattachés à la BA la plus proche pour leur soutien permanent. Cette défense s’étendra bientôt au milieu spatial. La localisation des plateformes accueillant les moyens aériens dédiés à la PPSA permet aux avions de chasse et hélicoptères d’intercepter tout aéronef survolant le territoire national dans un délai réduit. Il est donc nécessaire de disposer dans chaque quart de France de deux bases aériennes aptes à recevoir des avions d’armes, mais aussi de bases à proximité des sites sensibles pour accueillir les hélicoptères en charge de la police du ciel vis-à-vis des vecteurs les plus lents.
Au titre des missions de frappes immédiates depuis le territoire national, le plan de stationnement doit prendre en compte la nécessité de diluer les forces pour assurer un haut niveau de résilience en cas de menace directe, mais aussi la capacité à ravitailler facilement les unités en carburant et munitions. Par ailleurs, la projection des forces conventionnelles ou spéciales doit être réalisée à partir d’un réseau d’escales aériennes militaires adaptées et sécurisées, à proximité des lieux d’implantation des forces terrestres et des dépôts logistiques, afin de limiter les délais d’acheminement qui nuisent à la réactivité.
Au titre de la mission permanente de service public de recherche et sauvetage (SAR OACI (5), sauvetage maritime), les hélicoptères de l’Armée de l’air doivent intervenir à terre et en mer en fonction des zones de responsabilité qui lui sont confiées. La mission d’Évacuation sanitaire (Évasan) impose également une proximité avec les grandes structures hospitalières militaires.
La répartition des BA doit aussi permettre la préparation opérationnelle des unités. Afin de limiter la consommation de potentiel en transit, les bases sont positionnées au plus près des zones aériennes d’entraînement disponibles et adaptées et des champs de tir. Pour l’aviation de chasse, ces espaces aériens doivent permettre la réalisation des vols supersoniques et être cohérents avec les performances des munitions de nouvelle génération dont les portées sont accrues, nécessitant donc des espaces plus vastes pour maintenir un entraînement réaliste.
L’optimisation de la maintenance des aéronefs, des flux logistiques, des moyens de soutien et de simulation, et des ressources humaines est aussi recherchée en regroupant les aéronefs de même type sur une même base aérienne. Cette densification a pour limite la résilience des moyens et les contraintes environnementales dont les gênes sonores. C’est pourquoi il n’y a en général que deux à trois unités aériennes stationnées par base.
L’accueil de ces moyens militaires nécessite des infrastructures aéroportuaires souvent imposantes, des installations industrielles particulières notamment pour la maintenance ainsi que des moyens de restauration et hôtellerie permettant d’assurer la permanence des alertes et des missions. Certaines BA positionnées à des emplacements stratégiques sont aussi appelées à être renforcées dans certaines situations. Elles disposent alors de parkings avions et d’escadrons de passage adaptés pour ces renforts à l’instar de Solenzara (Corse) ou Djibouti. Compte tenu de ces moyens, déménager une base aérienne n’est donc ni simple, ni immédiat et souvent onéreux.
Enfin, la condition du personnel doit être prise en compte dans l’élaboration du plan de stationnement. La proximité d’un bassin de vie et d’emploi attractif pour les conjoints contribue directement à la fidélisation du personnel dans un contexte de ressources humaines tendu. Avec des BA comptant de 1 500 à 5 000 personnels militaires et civils, elles sont aussi des outils de rayonnement, de lien entre les Armées et la Nation comme de recrutement.
Ces principes configurent donc le réseau des bases aériennes, permettant à l’Armée de l’air d’assurer à la fois la tenue de ses contrats opérationnels, notamment pour ses missions permanentes (dissuasion et protection du territoire), une préparation opérationnelle efficace de ses forces, dans un modèle soutenable sur le long terme.
Les bases aériennes face aux menaces futures
Les BA, en métropole comme sur les théâtres d’opération, sont donc des outils militaires performants mais elles représentent aussi des cibles car les avions sont plus vulnérables au sol qu’en l’air. C’est pourquoi les bases doivent pouvoir faire face aux menaces de tout ordre : aérospatiales, terrestres, potentiellement saturantes et hybrides, et non cinétiques.
La menace aérospatiale correspond aux frappes par bombes guidées et missiles de croisière. Sont considérées comme menace terrestre, les missiles balistiques, les missiles antichars, l’artillerie, les roquettes, les obus de mortier et les attaques directes par des unités légères et mobiles de type commando. La menace non cinétique englobe les actions cybernétiques ou de guerre électronique, les actions liées à la dégradation du signal de positionnement par satellite et ses conséquences. Les attaques par mini-drones font partie des menaces hybrides ou asymétriques avec les attaques terroristes.
Si ces menaces étaient pour la plupart, il y a encore quelques décennies, l’apanage de puissances étatiques, la prolifération des armements permet aujourd’hui à des adversaires infra-étatiques de disposer d’une partie de ces moyens. Ils sont obtenus soit par la capture dans les arsenaux d’États faillis, soit directement auprès des puissances régionales qui les utilisent comme des intermédiaires.
Contrer les menaces aérospatiales : l’Anti Access/Aerial Denial (A2/AD)
Face aux menaces aérospatiales, seule une défense en profondeur, via un système de défense basé sur le concept d’A2/AD, peut empêcher les forces adverses d’attaquer nos bases aériennes. Ce système de défense est défini par ses capacités de détection, d’interception et de résilience.
Face aux menaces aérospatiales modernes, très rapides, longue portée et potentiellement furtives, il faut une grande distance de détection assurée par la multiplication de capteurs mis en réseau pour augmenter la performance globale de détection et mieux voir les moyens furtifs. Les capacités d’interceptions doivent être réparties géographiquement pour se couvrir entre elles et assurer une défense multicouche : canons, missiles longue, moyenne et courte portées. Cela permet d’utiliser le meilleur moyen en fonction de la menace via une analyse coût-efficacité. Enfin, la résilience est consubstantielle au réseau maillé et à l’aspect multicouches. Elle est indispensable dans un système défensif appelé à continuer à fonctionner malgré des attaques réussies. Le maillage global de défense s’appuie naturellement sur le réseau des bases aériennes.
Ces systèmes composites et intégrés (Integrated Air and Missile Defence System ou IAMDS) ont vocation également à coopérer avec les avions pour limiter tout contournement adverse et mettre en place une posture de défense en profondeur robuste.
Les programmes d’armement destinés à la défense aérienne (Système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales – SCCOA 4 puis 5) ainsi que SAMPT-NG (Système sol-air moyenne portée terrestre-nouvelle génération) couvriront ces besoins en qualité et en quantité. Mais la seule supériorité qualitative ne permet plus d’assurer la victoire face à des adversaires qui bénéficient de moyens et de savoir-faire réduisant l’écart avec les nôtres. Il est donc nécessaire de disposer du nombre suffisant de systèmes et de munitions permettant de résister et durer. La modernisation des moyens prendra aussi en compte les menaces cybernétiques et les actions de guerre électronique, nouveaux chevaux de Troie du combat moderne.
Par ailleurs, une base aérienne projetée avec ce type de défense est une épine dans le dispositif adverse limitant sa liberté d’action. C’est donc un outil défensif mais aussi offensif.
Le cas particulier de la Lutte anti-drones (LAD)
En parallèle des opérations aériennes classiques, les opérations au Levant de ces trois dernières années ont vu une utilisation accrue des drones par toutes les parties. Utilisés au départ comme outil de reconnaissance et de coordination des actions, ils sont devenus depuis des armes.
La taille d’un drone peut varier de quelques millimètres (nano-drone) à plusieurs dizaines de mètres d’envergure (jusqu’au drone Haute altitude et longue endurance – Hale). Si les grands drones sont traités comme la menace aérienne classique, les plus petits nécessitent une adaptation des outils de défense.
Les mini-drones, par leur taille et l’utilisation de matière plastique, sont presque invisibles au radar. Ils naviguent à l’aide du GPS, évoluent lentement et à très faible hauteur sur quelques dizaines de kilomètres. Ils sont facilement mis en œuvre, nécessitent peu de formation. Ces moyens permettent ainsi de mener des attaques surprises, de basse technologie et sans exposer les opérateurs. Des drones rustiques emportant des obus de mortier ont été utilisés avec succès début 2018 contre des bases aériennes russes en Syrie avec des attaques saturantes contre les bombardiers stationnés qu’ils ont réussi à endommager.
La lutte anti-drone dans l’Armée de l’air est mise en œuvre dans le cadre des Dispositifs de protection et sûreté aérienne (DPSA) et de la protection des installations sensibles du ministère dont les bases aériennes. À leur niveau, les escadrons de protection et de défense sol-air sont en charge de mettre en œuvre les nouveaux moyens de détection et protection.
Dans le cadre de la protection des installations, il est nécessaire d’assurer le continuum entre la logique centralisée de sûreté aérienne, dont le Commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) a la responsabilité devant le Premier ministre et qui prend en compte les menaces aériennes, et la logique décentralisée de sécurité-protection qui fait face à la menace des « petits drones » pour la protection des sites. Ces deux fonctions sont étroitement imbriquées afin de pouvoir offrir en permanence, un continuum de réponse adapté face à cette menace.
En plus de la protection active contre les avions et les drones, les anciennes règles de l’art dans le domaine de la protection des BA sont conservées : défense terrestre en profondeur et multicouches, durcissement et dilution des abris avions pour éviter les destructions en chaîne, protection des dépôts munitions et carburant, protection des personnels et forces d’intervention. Les patrouilles d’hélicoptères MASA (6) et de gendarmes de l’air permettent aussi d’assurer une protection au-delà des limites physiques de la base.
Atout des drones dans la protection-défense des bases aériennes
Le défi PRODEF (7) récemment organisé par l’Armée de l’air et l’Agence de l’innovation de défense (AID) a mis en évidence la contribution possible à la mission de sécurité-protection des nouvelles technologies telles que des drones patrouilleurs ou de surveillance, utilisant l’Intelligence artificielle (IA) pour détecter les comportements suspects. Les BA sont, elles aussi, très dynamiques dans ce domaine. Ainsi la Smart Base d’Évreux avait organisé en 2016 le premier hackathon sur la sécurité-protection. Cette manifestation avait permis de faire émerger des idées novatrices pour détecter d’éventuelles menaces à l’encontre des bases aériennes notamment via l’utilisation d’outils numériques. Enfin, le Centre d’expérimentations aériennes militaires (CEAM) poursuit des essais visant à utiliser des drones du secteur commercial pour renforcer les capacités de surveillance des bases aériennes.
Les premières mises en service sont en cours et permettront – à terme – de faire des rondes de surveillance et ainsi détecter, intercepter et identifier les intrus augmentant de fait le niveau de protection des sites. On peut même imaginer l’usage des drones pour éloigner les oiseaux des pistes. Néanmoins, la co-activité des drones de surveillance et des avions de la BA nécessite la mise en place de règles strictes pour garantir la sécurité aérienne.
L’innovation est très présente à la fois dans le secteur des drones et de la lutte anti-drones, notamment grâce au dynamisme du secteur civil. Ce domaine est suivi dans l’Armée de l’air par le Centre d’excellence drones implanté sur la Base aérienne de Salon-de-Provence et le CEAM sur celle de Mont-de-Marsan.
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Les opérations aériennes n’existent que grâce aux bases aériennes, qu’elles soient en métropole ou déployées sur les territoires ultramarins, à l’étranger ou sur les théâtres d’opération. Elles sont l’outil de combat fondamental de l’Armée de l’air, mais aussi le lieu de préparation opérationnelle, de stationnement de ses unités et de vie des aviateurs. Par leur taille, leur niveau de protection et leur rôle de pôle logistique, elles accueillent facilement des organismes interarmées en particulier sur les théâtres.
Face à un environnement géostratégique instable, les armées et l’Armée de l’air veillent donc à maintenir un plan de stationnement basé sur une juste répartition géographique des BA, permettant de diluer les moyens, d’offrir un niveau de résilience suffisant et de conserver la réactivité nécessaire à ses missions permanentes ou aux opérations déclenchées depuis le territoire qui tendent à croître depuis une décennie.
Essentielle, la protection des BA prend en compte la diversification de la menace, notamment sur le segment des drones en pleine évolution. Mais il s’agit également de garantir la protection de nos bases projetées contre des menaces du haut de l’éventail, autrefois apanage des États, mais qui tendent aujourd’hui, via une prolifération galopante, à entrer dans l’arsenal de nombreux adversaires irréguliers.
Outil remarquable, réactif et performant, la base aérienne est un système complexe, dont il faut concevoir la sécurité à 360 degrés, dans une vision holistique lui permettant de garantir la continuité des opérations quelle que soit la situation. L’Armée de l’air y consacre des efforts importants qui devront être maintenus dans les années à venir compte tenu du durcissement des menaces. ♦
(1) Opération menée conjointement par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni contre des installations du régime syrien à Damas et près de Homs, en représailles à l’attaque chimique de Douma (7 avril).
(2) Article R3224-11 du Code de la défense (www.legifrance.gouv.fr/).
(3) Composante aéroportée de la dissuasion, Posture permanente de sûreté air (PPSA) avec des avions de chasse et des hélicoptères en alerte, intervention directe depuis la métropole vers les théâtres par projection de forces ou de puissance, missions de service public.
(4) Commission de la Défense nationale et des Forces armées, « Audition du général André Lanata, Chef d’état-major de l’Armée de l’air », 19 juillet 2017, Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr/15/cr-cdef/16-17/c1617006.asp).
(5) Organisation de l’aviation civile internationale.
(6) Mesures actives de sûreté aérienne.
(7) Lagneau Laurent, « L’Agence de l’innovation de Défense lance un défi pour améliorer la sécurité des bases aériennes », Zone militaire-Opex 360, 11 janvier 2019 (www.opex360.com/).